L’avocat ne sera pas puni pour son coup de gueule contre la mendicité dans la capitale. Le tribunal a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une incitation à la haine ou à la violence.
Gaston Vogel a été acquitté. Le ténor du barreau luxembourgeois n’avait pas fait le déplacement jusqu’à la Cité judiciaire, vendredi, pour entendre le verdict des juges à son encontre. «La meute», comme il avait baptisé les nombreux journalistes présents à l’ouverture de son procès pour incitation à la haine raciale et discrimination, était de nouveau au rendez-vous pour relayer la décision de la 19e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Me Gaston Vogel était représenté par Me Anne Prum.
«Ce prononcé nous ravit. C’était la seule décision possible et acceptable dans cette affaire. Nous ne ferons certainement pas appel, a indiqué la jeune femme. Nous espérons que le parquet ne fera pas non plus appel de cette décision, mais on ne sait jamais.»
Le parquet avait requis une amende à l’encontre de Me Vogel ainsi qu’une suspension du prononcé pour un journaliste du Journal et la CLT-UFA, maison mère de RTL, qui avaient relayé les propos de l’avocat. Le journaliste et le groupe de médias ont également été acquittés. La 19e chambre correctionnelle s’est déclarée incompétente en ce qui concerne la demande de la partie civile qui souhaitait la publication du jugement et des conclusions du tribunal par les deux médias incriminés.
Des «racailles», «dégueulasses et insolents»
Tout a commencé le 5 août 2015 par un énorme coup de gueule de l’avocat contre les mendiants qu’il croise chaque matin en se rendant à son cabinet situé dans la Grand-Rue de la capitale. Comme souvent, l’avocat ne mâche pas ses mots. Selon lui, des «racailles», «dégueulasses et insolents» venus de «la lointaine Roumanie» «rackettent» les passants dans «une ville minable» «en passe de devenir le vomissoir de la mendicité». La lettre ouverte est envoyée à la presse. Le Journal et RTL décident de la publier. Gaston Vogel est coutumier du fait et l’on suppose qu’il sait ce qu’il fait.
Les réactions à ce pavé dans la marre n’ont pas tardé à affluer. Bourgmestre de Luxembourg, ministre de la Justice de l’époque, police grand-ducale, ambassade de Roumanie et Ligue des droits de l’homme en tête qui finira par porter plainte contre le ténor du barreau et par ricochet contre les deux médias.
Le 1er octobre dernier, lors de la première journée d’audiences, Gaston Vogel a expliqué avoir «été envahi par un océan de colère» à force, au quotidien, de trouver «cinq ou six Roms avec trois chiens, des bouteilles et des immondices» au pied de son cabinet.
Pas une incitation, une alerte
Il ne s’agissait pas d’inciter à la haine, selon l’avocat au bord de l’explosion, mais d’alerter sur cette criminalité en bande organisée qui repose sur la traite des êtres humains. De son poing, il a martelé ses propos à la barre : «Je rejette avec mépris tout soupçon de racisme et de xénophobie de ma part. Je suis un homme de gauche. Mes écrits et mes conférences sur les tsiganes sont là pour en témoigner. (…) Me reprocher cela, c’est presque faire de moi un assassin!»
Le thème de la criminalité en bande organisée avait été largement soulevé pour confirmer ou infirmer les propos du prévenu qui se «serait exclusivement livré dans sa lettre à une exhortation à la politique d’agir», selon Me Lorang, une de ses conseils. La bourgmestre de Luxembourg, Lydie Polfer, et l’échevin Laurent Mosar, avaient été cités comme témoins.
«Si j’y étais allé mollo-mollo, personne ne l’aurait lu. Là, au moins, on en parle», avait indiqué le «citoyen averti et alerte» à la barre. «Je décris une situation. Je ne dis pas aux gens de venir leur casser la gueule. Je ne fais pas d’appel à la violence.»
Le procureur demandait une amende
Le procureur n’était pas tout à fait du même avis. Il a indiqué que la problématique de la mendicité organisée était «de la moutarde après dîner», évoquée de manière tardive bien après l’envoi de la lettre ouverte. Après de longs développements, il a estimé que les infractions étaient bien données.
Pour lui, la lettre ouverte ne faisait aucune allusion à la mendicité en bande organisée ou à la traite des êtres humains, mais s’attaquerait exclusivement aux mendiants d’origine roumaine. Il y a vu «une volonté discriminatoire de nature à susciter un sentiment de haine auprès d’une partie de la population».
«La lettre traite de la mendicité simple, point final. Exercée par des personnes d’origine roumaine. Point final», avait-il ponctué avant de requérir, étant donné l’âge du prévenu, son casier judiciaire vierge et un certain dépassement du délai raisonnable, une amende à l’encontre de l’avocat.
Sophie Kieffer
Fort heureusement la Justice Luxembourgeoise respecte encore la Liberté d’Expression, contrairement à ses voisines française ou belge.
Il faut tenir bon !