Hassan est-il la victime ou l’incendiaire ? L’homme d’affaires est suspecté d’avoir bouté le feu à l’immeuble qu’il occupait pour toucher l’assurance et redresser ses affaires.
Pour les trois enquêteurs, cela ne fait aucun doute : l’incendie a été mis en scène et Hassan, s’il est bien une victime comme il le prétend, aurait beaucoup de chance d’être en vie. « D’habitude, dans ces cas de figure, cela se termine sur une table d’autopsie », a indiqué d’expérience un premier commissaire de la police technique qui a passé les lieux au peigne fin après l’incendie.
Vers 2 h 30 dans la nuit du 28 juillet 2015, un incendie se déclare aux étages supérieurs d’un immeuble de la rue Jean-Origer à Luxembourg. Bien que de l’essence et un accélérateur aient été aspergés dans les étages inférieurs, ils sont épargnés.
L’unique habitant des lieux, Hassan, est retrouvé à moitié nu sur un toit voisin par les sapeurs-pompiers. Réveillé par les flammes, il aurait tout juste eu le temps de prendre la fuite par une fenêtre donnant sur les toits. De victime, le quadragénaire est devenu suspect, puis prévenu au fil de l’enquête.
Il comparaît depuis mardi face à la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Il lui est reproché d’avoir mis le feu à l’immeuble du numéro 2 de cette rue du quartier Gare pour commettre une arnaque à l’assurance « au prétexte qu’il aurait eu des difficultés financières au moment des faits », a rappelé son avocat Me Fürst, mercredi.
Mardi, Hassan a contesté ces accusations et a notamment avancé la thèse de représailles de la part de l’État islamique ou d’un complot ourdi par un rappeur dont il n’aurait pas voulu vendre les albums avec la complicité de son ancien webmaster. Une analyse graphologique de lettres de menaces qu’il a reçues devrait prouver ses dires lors des prochaines audiences du procès prévues mardi et mercredi prochain, a avancé son avocat.
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En début d’audience, mercredi, la présidente de la 13e chambre criminelle a réitéré ses doutes quant aux dires du prévenu. « N’aurait-on pas dû trouver des brûlures sur les pieds et les mains du prévenu s’il était sorti par le toit après avoir été réveillé par les flammes comme il le prétend ? », demande-t-elle à l’enquêteur de la police judiciaire qui, la veille, comme l’expert en incendie, avait douté qu’il ait pu se sortir vivant de l’immeuble étant donné la chaleur et les fumées développées par l’incendie.
« Il aurait très bien pu mettre le feu, sortir, se cacher sur le toit et attendre l’arrivée des pompiers », estime-t-elle. Me Fürst a essayé par moult questions de contredire cette thèse. Le prévenu, quant à lui, balbutie, les larmes aux yeux, que le procès lui fait revivre les événements traumatisants de cette nuit et que cela lui fait du mal.
Les éléments de l’enquête policière jouent pourtant en sa défaveur. Le commissaire de la section d’enquête spécialisée de la police judiciaire, qui a effectué des écoutes de son téléphone, entre autres, pendant quatre mois après les faits, a avancé que certaines conversations auraient été mises en scène.
« Il avait déjà eu une expérience des écoutes en 2009 » en raison d’une affaire de trafic de drogue dans laquelle il avait finalement été blanchi. « Souvent, il parle dans le vide sans véritable interaction de son interlocuteur », a indiqué l’enquêteur. Hassan aurait également évoqué des éléments de l’enquête – comme la serrure percée de son magasin – dont il n’aurait pas été censé avoir connaissance au moment de la conversation. Il aurait également très peu évoqué les menaces et « c’est comme s’il nous demandait d’enquêter dans certaines directions », selon le policier.
« C’est la partie la plus intéressante »
Selon le policier, les écoutes ont également permis d’établir qu’il s’est cru assuré contre la perte d’exploitation due à l’incendie et aurait découvert en téléphonant à son assurance qu’il ne l’était pas. Ou que le matériel utilisé dans le magasin de prêt-à-porter au rez-de-chaussée était assuré à un montant moindre que prévu, car il n’aurait pas fait adapter le plafond de l’assurance après l’avoir acquis. Il aurait également essayé de récupérer sa garantie bancaire auprès des propriétaires de l’immeuble. Sans succès.
Mais la preuve ultime d’une mise en scène du crime est, selon les enquêteurs, le cylindre d’une serrure retrouvée sur le sol du commerce ainsi que de la limaille sur le trottoir. « C’est la partie la plus intéressante », a indiqué un commissaire du service de police technique. « La limaille, telle que nous l’avons trouvée, n’a pas pu tomber d’un mètre de haut. Elle a dû être essaimée plus tard. »
Il est impossible, pour l’enquêteur, que le cylindre de la serrure ait été percé à cet endroit et en pleine nuit. « Nous avons fait le test avec les pompiers. Il leur a fallu 5 minutes pour percer une serrure et le bruit généré correspondait à 110 décibels », poursuit l’enquêteur. L’équivalent d’un klaxon ou d’un marteau-piqueur. En pleine nuit, le ou les incendiaires se seraient inévitablement fait entendre. Or personne n’aurait rien entendu.
Ce n’est pas le seul indice que comporte cette serrure. Le policier se lance dans une explication détaillée des manières de démonter une serrure. Si on ne dispose pas d’une clé, ce qui est le cas de cambrioleurs, il faut la percer. Outre le bruit, le perçage dilate le cylindre du côté où le foret de la perceuse a été introduit. Il ne pourrait être extrait que de ce côté.
Logiquement, pas besoin de le sortir pour ouvrir la porte ou s’il ne s’agit pas de le remplacer. Dans le présent cas, selon le policier, le cylindre aurait été percé ailleurs et abîmé de sorte qu’il n’a pu être réintroduit dans la serrure. Ce qui étayerait doublement sa thèse de la mise en scène pour faire croire à un incendie criminel dont le prévenu serait la victime. Une mise en scène peu aboutie.
Sophie Kieffer