Le quadragénaire est poursuivi pour avoir produit un faux contrat de travail afin d’ouvrir une nouvelle crèche en 2013. La défense parle d’une négligence sans intention frauduleuse. Le parquet n’est pas d’accord.
«Je pense plutôt que c’était un problème de photocopies. Car mon client n’avait aucun intérêt à produire un quelconque faux.» Simple problème de photocopies, comme le clame la défense? Ou falsification du contrat de travail de l’éducatrice graduée en vue d’obtenir l’agrément pour l’ouverture d’une nouvelle crèche?
L’affaire, qui remonte à l’année 2013, se trouve aujourd’hui entre les mains de la 18e chambre correctionnelle. Elle doit trancher s’il y a infraction de faux en écritures dans le chef du quadragénaire qui gérait à l’époque avec sa société plusieurs crèches. Au terme de deux jours de procès, les débats se sont achevés mardi matin avec le réquisitoire du parquet.
À l’origine de cette affaire se trouve la plainte d’une jeune femme détentrice d’un master en sciences de l’éducation, âgée aujourd’hui de 34 ans. Sophie* vient de se faire licencier quand elle découvre que l’agrément de la nouvelle crèche dans le sud du pays pour laquelle elle a travaillé deux petites semaines a été obtenu en son nom.
En contactant le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse pour avoir des explications, elle apprend qu’il dispose d’un contrat de travail d’elle comme «chargée de direction». Or elle déclare ne jamais avoir signé un tel contrat. Même si c’était prévu. Celui qu’elle a en main mentionne qu’elle a été «employée en tant qu’éducatrice graduée»… Lors d’une perquisition au siège de la société exploitant les crèches, impossible de mettre la main sur l’original du double du contrat de travail de Sophie. La police y saisit une troisième version du contrat. Car la première page du document diffère aussi de celui dont dispose le ministère.
Une employée, trois versions du contrat
Pour l’avocate du prévenu, ce n’est pas pour autant qu’on peut retenir l’infraction de faux. «On peut reprocher à mon client sa négligence ou son imprudence parce qu’il n’a pas contrôlé qu’il existe différentes versions du contrat. Mais cette simple négligence n’est pas une intention frauduleuse», argue Me Tania Hoffmann. D’où sa demande d’acquittement.
Un raisonnement que le ministère public ne partage pas. Car s’il existe trois versions de la première page du contrat, il constate que la deuxième page – où figure la signature de Sophie – à la disposition du ministère et celle saisie à la crèche sont exactement les mêmes. «Il y a un problème. C’est incompatible avec ce que le prévenu tente de nous expliquer.» «S’il y a une erreur de photocopies, pourquoi l’a-t-il faite deux fois?», s’interroge le substitut.
Le parquet soulève également que c’est le seul dossier parmi tous ceux des employés pour lequel le gérant n’a pas su fournir l’original du contrat. Un autre détail qui dérange est le fait que le ministère n’a jamais été informé du licenciement de Sophie. La lettre de licenciement date du 11 septembre 2013. Donc en pleine période d’essai et à peine neuf jours après que l’agrément pour la nouvelle structure a été obtenu. Ce n’est qu’en juillet 2014 que la société a fait une demande d’agrément au nom d’une autre «chargée de direction».
«Jeu de cache-cache avec le ministère»
«Ce jeu de cache-cache avec le ministère pour dissimuler au mieux les problèmes administratifs de la crèche, c’est ce que le parquet reproche», enchaîne le substitut. À côté de l’«absence d’explication plausible» pour ces trois versions du contrat, il relève aussi cette «mise en demeure du ministère où on déplore le manque de personnel qualifié». «C’est parce qu’on était mal, parce que le temps pressait pour présenter les documents au ministère qu’on a produit un faux… On en a fait usage pour demander l’agrément de la crèche tout en sachant que l’employée était en période d’essai.»
«Je ne dis pas que c’est un grand criminel. Mais il y a eu un faux de fait dans le contexte administratif de la crèche. Je pense qu’il n’arrivait plus à gérer les tâches administratives», ajoutera le représentant du parquet avant de requérir six mois de prison avec sursis intégral et une amende contre le prévenu âgé aujourd’hui de 44 ans et qui travaille désormais dans l’immobilier. La peine requise tient compte de son absence d’antécédents judiciaires et de l’ancienneté des faits, deux circonstances atténuantes. En revanche, il y a toujours son absence de prise de conscience, considère le parquet.
Le parquet demande l’acquittement de la société
Sur le banc des prévenus l’accompagne la société. Sauf qu’en novembre 2017 cette dernière a été rachetée. À entendre l’avocate du groupe qui exploite aujourd’hui les crèches, le repreneur n’a pas été informé de l’affaire pénale. Dans la mesure où l’équipe est tout nouvellement composée, la société ne pourrait être retenue comme coupable. Voilà pourquoi l’avocate avait plaidé l’acquittement. Le parquet l’a rejointe sur cette position, mardi. Entre l’inculpation de l’ex-gérant et la signature du contrat de vente, il y a eu onze jours. Pour le parquet, il a fait preuve d’un certain culot en n’en touchant aucun mot au repreneur.
La plaignante, Sophie, s’est constituée partie civile dans ce procès. Elle réclame 5 000 euros au titre du préjudice moral. Prononcé le 25 mars.
* Le prénom a été changé
Fabienne Armborst
Notre article sur le premier jour du procès :
Luxembourg : un ex-gérant de crèches à la barre du tribunal