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Yougoslavie : quand Tito prenait la variole à bras-le-corps


L'efficacité des autorités sanitaires titistes suscite une certaine nostalgie à l'approche du 40e anniversaire de la mort de Josip Broz Tito le 4 mai. (Photo : AFP)

Dans les Balkans, la crise mondiale du coronavirus réveille le souvenir d’une autre maladie ultra contagieuse : il y a près de 50 ans, la Yougoslavie communiste avait étouffé dans l’œuf la dernière grande épidémie de variole d’Europe.

Un vaccin était déjà disponible et les autorités sanitaires avaient immédiatement réagi en l’inoculant en quelques semaines à la population toute entière, soit 18 millions de personnes. Le bilan fut inférieur à 40 morts. L’épidémie avait inspiré le réalisateur serbe Goran Markovic et son film Variola Vera, sorti en 1982, est vu ou revu aujourd’hui par de nombreux habitants de l’ex-Yougoslavie confinés par le Covid-19. L’efficacité des autorités sanitaires titistes suscite une certaine nostalgie à l’approche du 40e anniversaire de la mort de Josip Broz Tito le 4 mai. En Serbie, certains regrettent une époque où les soins étaient gratuits, bien organisés, où la population faisait confiance aux autorités et où les théories conspirationnistes antivaccins ne circulaient pas sur les réseaux sociaux.

« Certains aimaient le socialisme, d’autres n’aimaient pas mais ils croyaient tous au système, et au système sanitaire. Personne ne remettait en cause les décisions des médecins, tout le monde voulait être vacciné », se souvient Zoran Radovanovic, épidémiologiste retraité à Belgrade. La défiance antivaccins qui se propage dans de nombreux pays est particulièrement virulente dans la région, alimentée par des artistes, des écrivains ou des personnalités comme le numéro un du tennis mondial Novak Djokovic, « personnellement » opposé à la vaccination.

Il a fait les gros titres récemment en s’exprimant contre une éventuelle vaccination obligatoire contre le coronavirus qui permettrait une reprise des tournois, au grand dam des épidémiologistes de la région. Les théories conspirationnistes se retrouvent dans les médias. Le tabloïd serbe Vecernje Novosti a récemment publié un article assurant que le cofondateur de Microsoft Bill Gates avait « financé un vaccin contre le virus avant même que débute l’épidémie de Covid-19 ».

Des « stylos plume » chauffés à blanc

Sous Tito, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 35 ans, dire non à la vaccination n’aurait pas été possible. Le virus est arrivé en Yougoslavie en 1972, avec un Kosovar albanais contaminé en Irak au retour d’un pèlerinage à La Mecque. La maladie se manifestait par de la fièvre, des maux de tête, une fatigue extrême suivis d’une éruption cutanée et des pustules. Mais elle n’avait pas été vue dans la région depuis 1930, si bien que les médecins yougoslaves ne l’avaient pas immédiatement identifiée. Dès qu’elle le fut cependant, toute la machine d’État se mit en branle.

Les autorités ouvrirent des quarantaines dans les hôtels et campings et ordonnèrent une campagne massive de vaccination. « L’armée, la police, tous les médecins avaient été mobilisés », raconte Ana Gligic, qui exerçait à l’époque comme virologue. Certains médecins qui n’avaient pas assez de seringues se servaient de « stylos plume » chauffés à blanc, une procédure souvent douloureuse, selon une mission d’observation du Centre américain de contrôle des maladies.

Gordana Vukmirovic, économiste retraitée de 75 ans, se souvient que des équipes médicales étaient venues sur son lieu de travail pour inoculer les gens. Malgré tout, « la vie était normale » ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, dit-elle, en référence aux mesures de confinement contre un coronavirus qui a fait plus de 400 morts et 15 000 contaminations dans les pays de l’ex-Yougoslavie. Le traçage des contaminations était solide. À Belgrade par exemple, environ 3 000 personnes avaient été interviewées, selon l’Organisation mondiale de la santé. En trois mois, la bataille fut gagnée. Au total, 35 personnes moururent et 175 furent contaminées.

Pendant toute la crise, Tito avait gardé un profil relativement bas. Comme en toutes choses cependant, c’est lui qui décidait. Il revenait au chef de « donner son feu vert pour annoncer l’épidémie et il a mis trois jours à le faire, ce qui nous a rendu la tâche plus difficile », dit Zoran Radovanovic. « On mettait les gens en quarantaine, mais on ne pouvait pas leur dire pourquoi. »

LQ/AFP

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