Le violent passage à tabac d’un homme noir par des policiers à Paris, qui a « choqué » le président Macron, a relancé le débat récurrent en France sur le racisme et les violences policières, et alimenté une vive controverse sur la possibilité de filmer les forces de l’ordre en opération.
Quatre policiers ont été placés vendredi en garde à vue après le violent passage à tabac d’un producteur noir à Paris, une affaire qui a « choqué » le président Macron, et relancé le débat récurrent en France sur le racisme et les violences policières.
Les quatre fonctionnaires, suspendus jeudi, ont été placés en début d’après-midi en garde à vue dans les locaux de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale), la police des polices. Ils sont visés par une enquête pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique » et « faux en écriture publique ».
La vidéo du passage à tabac, diffusée jeudi sur les réseaux sociaux et largement partagée (plus de dix millions de vues), a déclenché une onde de choc jusqu’au sommet de l’Etat, en passant par plusieurs grands noms du sport ou la chanteuse originaire du Mali, Aya Nakamura. Les images montrant Michel Zecler, un producteur noir, roué de coups samedi par trois policiers dans l’entrée de son studio de musique à Paris, et diffusées jeudi par Loopsider, provoquent une onde de choc jusqu’au sommet de l’État, en passant par plusieurs grands noms du sport.
Le président français, Emmanuel Macron, a été « très choqué » par la vidéo, a indiqué vendredi la présidence, première réaction officielle du chef de l’Etat sur cette affaire qui faisait vendredi les gros titres de la presse nationale.
« La nausée », titrait le quotidien de gauche Libération, sur une photo du visage ensanglanté de Michel Zecler. « Violences policièresc: l’exécutif mis en cause », affichait de son côté Le Monde en Une.
Les footballeurs vedettes Antoine Griezmann ou Kylian Mbappé se sont aussi indignés sur les réseaux sociaux.
J’ai mal à ma France ! @GDarmanin https://t.co/78HRfoyqhA
— Antoine Griezmann (@AntoGriezmann) November 26, 2020
Gerald Darmanin, clivant ministre de l’Intérieur et incarnation d’une stratégie sécuritaire sans état d’âme, a été reçu jeudi soir par Emmanuel Macron qui lui a demandé de prononcer des sanctions très claires contre les policiers, selon une source gouvernementale. Après cette rencontre, le ministre a annoncé jeudi soir sur France 2 qu’il demandait la révocation des quatre policiers (le quatrième mis en cause est accusé d’avoir jeté une grenade lacrymogène dans le studio), et les a accusés d’avoir « sali l’uniforme de la République ».
Le secrétaire général du syndicat des commissaires de police, David Le Bars, a souhaité que « la justice agisse vite », tout en demandant à sortir de la polémique consistant à « laisser croire » que l’ensemble de la police était violente.
La consternation est générale dans les rangs de la police. « Ce n’est pas ça notre police, ma police, la police républicaine (…) c’est indéfendable (…) Cela jette l’opprobre sur toute une institution », a dit Yves Lefebvre (Unité SGP police) sur BFMTV. « Même si les images choquent, il ne faut pas que cela soit un prétexte pour dénigrer l’ensemble de l’institution policière », a ajouté Fabien Vanhelmelryck (Alliance).
Violences, racisme et vidéos
Selon Michel Zecler, qui a porté plainte, les policiers l’ont traité de « sale nègre » à plusieurs reprises. Ce témoignage relance les interrogations sur un racisme et une violence « structurels » au sein de la police française, catégoriquement démentis par les autorités, mais alimentées par une série d’affaires depuis plusieurs années.
Le passage à tabac de Michel Zecler intervient notamment quelques jours après le démantèlement brutal lundi d’un camp de migrants installés lundi en plein centre de Paris dans le cadre d’une action médiatique des associations leur venant en aide. Les images de cette évacuation, filmée par des journalistes et des militants, ont choqué et donné lieu à un rapport de la police des polices, qui a notamment dénoncé « un usage disporportionné de la force » de la part d’un commissaire ayant fait un croche-pied à un migrant.
En outre, ces affaires, révélées par les images diffusées sur les réseaux sociaux, surviennent en pleine polémique sur une proposition de loi visant à restreindre le droit à filmer des policiers en opération. Cette mesure est dénoncée par les journalistes qui y voient une atteinte à la liberté de la presse, et a donné lieu depuis deux semaines à des manifestations qui ont souvent dégénéré. Un rassemblement est encore prévu samedi à Paris.
« Sans images, pas d’affaires »
Le texte, qui a été adopté mardi par l’Assemblée nationale et doit être encore examiné par le Sénat, a cristallisé ces derniers jours passions et antagonismes. Plébiscité par les syndicats policiers, soutenu par la droite et l’extrême droite, son article 24 réprime d’un an de prison et 45.000 euros d’amende la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » de membres des forces de l’ordre en intervention, quand elle porte « atteinte » à leur « intégrité physique ou psychique ».
La gauche et les défenseurs des libertés publiques y voient « une atteinte disproportionnée » à la liberté d’informer et le signe d’une dérive autoritaire de la présidence d’Emmanuel Macron. « Sans images, pas d’affaires », ont insisté plusieurs journalistes après la révélation du passage à tabac de Michel Zecler.
Pour calmer la colère, le Premier ministre Jean Castex a annoncé jeudi soir la création d’une « commission indépendante chargée de proposer une nouvelle écriture » de l’article litigieux de la loi. Mais cette initiative a déclenché le courroux des parlementaires, qui y voient une ingérence de l’exécutif dans leurs prérogatives.
AFP/LQ