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Toulouse : dans les rouages du Minotaure


Le géant, dont la maîtrise de la seule conduite nécessite un mois, a marqué les mémoires de plus de 900 000 spectateurs lorsqu'en 2018, il a arpenté les rues de la Ville rose. (Photo AFP)

Donner vie au géant mi-homme, mi-taureau, star de la Halle de la machine à Toulouse, n’est pas chose aisée. Une impressionnante mécanique de 47 tonnes «animée» grâce à la magie discrète des machinistes-artistes. Découverte.

Géant d’acier et de bois d’une cinquantaine de tonnes, le Minotaure, attraction de la Halle de La Machine à Toulouse, prend vie grâce à ses machinistes : actionnant une myriade de câbles et manettes, ils dotent même cette créature mythique d’émotions. «C’est notre Toto!», lance tendrement Jo Smith à sa descente de la nacelle accrochée au bas du large torse, gravé de cicatrices et tatouages. Telle une danseuse, elle y manipule avec grâce l’exosquelette via lequel se meuvent les bras puissants et les énormes sabots du Minotaure.

Au-dessous d’elle, une autre femme conduit le géant mi-homme, mi-taureau, doré à la feuille d’or, et haut d’une dizaine de mètres pour 45 de long. Caché derrière son dos, un troisième machiniste le fait mugir, cracher, souffler, surveillant la pression via des manomètres. Sur une musique d’épopée, une quatrième le guide au sol, comme un agent de piste devant un avion. Et une cinquième, équipée de casque et micro comme les autres, ferme la marche, assurant la sécurité des voyages du Minotaure, qui promène ses passagers autour de la Halle, sur la même piste où atterrissaient autrefois les pionniers de l’Aéropostale.

Des compétences uniques

«Je suis fascinée par le fait qu’on donne de l’âme à des machines et ça marche : il y a des émotions qui passent!», s’exclame Martine Van Den Abeele, touriste belge de 59 ans. «Ce sont vraiment des artistes!», lance-t-elle, regardant l’équipage, vêtu de blousons oranges, s’éclipser en file indienne, tels des comédiens sortant de scène. Contrairement à ce que d’aucun pourrait croire face à cette impressionnante mécanique de 47 tonnes (54 lorsque s’y ajoute le «temple» où embarquent une cinquantaine de visiteurs), les machinistes ne sont pas détenteurs d’un permis d’engins de levage, de tractopelle, ni grutiers.

Ils ont «une compétence bien particulière qui est la sensibilité artistique. Elle est fondamentale ! C’est pour ça qu’on travaille principalement avec des comédiens, des gens du cirque» , explique Everest Canto de Montserrat, directeur d’exploitation de la Halle, qui compte 40 salariés permanents et une centaine d’intermittents du spectacle. «On crée des machines uniques qui nécessitent des compétences uniques. Donc, on forme les gens», ajoute-t-il, précisant qu’une trentaine sont aptes à donner vie au Minotaure.

Ainsi, Jo Smith, marionnettiste de métier, quitte de temps à autre les grandes poupées de chiffon de sa compagnie pour animer les gentils monstres, mais aussi d’improbables automates qui, dans la Halle, servent un banquet, tartinent des toasts, jouent du jazz ou caressent les plantes. «Dans mes marionnettes, je suis souvent toute seule face au public. Ici, on est une équipe, on est plusieurs à donner vie à une machine, à un personnage!», dit cette Britannique de 53 ans, diplômée de l’École nationale des arts de la marionnette de Charleville-Mézières et la Wimbledon School of Art.

Je suis fascinée par le fait qu’on donne de l’âme à des machines

François Delarozière, directeur artistique de la compagnie La Machine, célèbre pour ses spectacles à Nantes ou son dragon à Calais, parle même d’un «permis Minotaure». «J’adore guider, explique encore Jo Smith, mais manipuler aussi parce qu’on sent la machine, la bête, le poids, les intentions… et conduire! On a des formations différentes selon les postes et on s’entraine beaucoup (…) Mais la vraie pratique, parce qu’on est une compagnie de théâtre de rue, ça se passe en direct, dehors, devant le public!»

Le géant, dont la maîtrise de la seule conduite nécessite un mois, a marqué les mémoires de plus de 900 000 spectateurs lorsqu’en 2018, il a arpenté les rues de la Ville rose, point d’orgue de l’installation de La Machine à Toulouse. Si le Minotaure, en mode «machine de ville», est actionné par cinq personnes, pour les spectacles, comme celui du Gardien du Temple, un opéra urbain, «nous sommes au minimum quinze» à l’animer, précise la marionnettiste. Il affronte alors l’Araignée, autre attraction de la Halle, qui le défie devant la foule du haut de ses 5,70 mètres et avec ses pattes de 20 mètres d’envergure. «Parfois, ils ont des rapports un peu plus doux», ajoute Jo Smith, qui en parle comme d’êtres vivants, aux regards étonnement expressifs.

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