Accueil | Monde | Taïwan : quand le mah-jong fait son entrée en politique

Taïwan : quand le mah-jong fait son entrée en politique


Vieux de plusieurs siècles, ce jeu chinois, reconnaissable à ses célèbres tuiles, est populaire à Taïwan, notamment chez les personnes âgées. (Photo : afp)

Jeu de société traditionnel très prisé, il reste toutefois sous la coupe de l’interdiction des paris dans les lieux publics. Un nouveau parti politique cherche à lui rendre sa grandeur et sa reconnaissance en tant que «loisir légitime».

Au moment où Taïwan se mue en une société «super âgée», un nouveau parti émerge dans l’arène politique en brandissant un programme pour le moins singulier : rendre sa grandeur au mah-jong, un jeu de société traditionnel. Vieux de plusieurs siècles, ce jeu chinois, reconnaissable à ses célèbres tuiles, est populaire à Taïwan, notamment chez les personnes âgées. Y jouer est certes autorisé, mais depuis l’époque de la loi martiale (1949-87), le mah-jong évolue dans une zone grise, suscitant la méfiance des autorités en raison de l’interdiction des paris dans les lieux publics.

Des gangs organisés entretiennent depuis longtemps dans l’illégalité de juteuses parties assorties de paris. Les salles de jeux font quant à elles l’objet de descentes ou d’inspections de police. Propriétaire d’une salle de jeux dans la ville de Kaohsiung (sud du pays), Kuo Hsi a décidé qu’il était grand temps d’autoriser les paris lors des parties de mah-jong. Et pour atteindre son objectif, il a mis sur pied un nouveau parti politique.

Faire reconnaître la légitimité du mah-jong 

Cette formation de niche, appelée «Mah-jong le plus grand parti», prône la reconnaissance du jeu de société en tant que «loisir légitime» ainsi que la légalisation des paris et des gains. «Soyons honnêtes : aujourd’hui, on peut parier sur n’importe quoi si on veut jouer, même sur pierre-feuille-ciseaux. Pourquoi s’obstine-t-on à qualifier le mah-jong de jeu d’argent?», s’interroge Kuo Hsi.

Dans sa salle de jeux, au milieu du cliquetis reconnaissable des tuiles de mah-jong produisant un fond sonore hypnotique, le gérant estime que «toutes les formes de compétition, de jeu, de golf, de tennis, de badminton, ont une sorte de prix à la fin. Elles en ont toutes!» «Quand il y a des prix, les participants font de leur mieux pour s’entraîner physiquement et mentalement. C’est la même chose avec le mah-jong», ajoute cet homme de 65 ans.

Max Chang compte parmi les tout premiers adhérents du nouveau parti. Lui-même est depuis sa jeunesse un adepte du jeu de tuiles qu’il pratique en famille. «Je m’identifie beaucoup aux idéaux de Kuo Hsi. En tant que jeune homme jouant régulièrement au mah-jong, je crains toujours que des gens n’appellent la police à notre sujet», raconte le consultant de 31 ans. Amy Huang, une femme de 62 ans, a aussi rejoint le parti. «J’ai hâte de jouer au mah-jong au grand jour et de ne plus avoir à me cacher.»

J’ai hâte de jouer au mah-jong au grand jour et de ne plus avoir à me cacher

Sa belle-mère, qui l’a initiée au jeu de tuiles, a été emmenée un jour au poste de police pour avoir parié lors d’une partie entre amis, relate-t-elle, parlant d’un incident «ridicule». Mais Kuo Hsi sait qu’il lui reste du chemin à parcourir pour intégrer pleinement le paysage politique taïwanais. Son parti, créé le mois dernier, compte seulement 120 adhérents mais son fondateur espère en recenser 10 000 d’ici la fin de l’année. Il a déposé une demande d’enregistrement du parti qu’il espère voir approuvée bientôt.

Son objectif : créer un élan politique suffisant pour obtenir un référendum l’an prochain et changer la loi. Taïwan autorise la tenue régulière de référendums pour se prononcer sur des décisions clés. Lors d’élections locales le 26 novembre, l’abaissement de l’âge du droit de vote de 20 à 18 ans sera soumis à référendum. Le fondateur du parti espère également obtenir au moins un siège en 2024 lorsque Taïwan élira ses nouveaux députés et président.

Un intérêt pour les personnes âgées

En tant que gérant d’une salle de jeux, Kuo Hsi y a tout intérêt. Mais il poursuit aussi un objectif plus altruiste : selon lui, sortir le mah-jong de sa zone grise aidera les seniors taïwanais à devenir plus heureux et plus sociables. Près de 17 % des 23,5 millions d’habitants de Taïwan ont plus de 65 ans. En 2025, l’île devrait imiter le Japon en devenant une société «super âgée», lorsque la part des plus de 65 ans atteindra 20% de la population.

«Taïwan est une société vieillissante avec de plus en plus de citoyens âgés, en particulier dans des espaces reculés. Ils restent principalement chez eux à regarder la télévision», selon Kuo Hsi. «S’ils peuvent se réunir avec des personnes de leur âge pour jouer au mah-jong et discuter avec d’autres, cela aidera à améliorer leur qualité de vie et à leur apporter du bonheur.»