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Weyes Blood face au chaos du monde


Weyes Blood

And in the Darkness, Hearts Aglow

Sorti le 18 novembre

Label Sub Pop

Genre pop

Weyes Blood est une valeur sûre. Plus de raison d’en douter. Depuis quelques années maintenant, Natalie Mering (de son vrai nom) cumule en effet les louanges. Il y a déjà les références évidentes, comme celle de Joni Mitchell, légende de la folk. Il y a aussi les sollicitations, nombreuses, de Beck à Lana Del Rey. Il y a enfin tout ce qui fait son charme de musicienne et de compositrice : une voix d’une beauté à pleurer, des mélodies poignantes portées par des instruments en pagaille, une écriture intemporelle et, en contrepoint, un regard aiguisé sur un monde qui s’effiloche, du numérique qui isole au climat qui inquiète. Entre sons exhumés du passé et des humeurs bien modernes, l’artiste, 34 ans, se pose en guide, flambeau à la main. Évidemment, on la suit. Sans hésiter.

Après deux premiers disques «anonymes» – The Outside Room (2011) et The Innocents (2014) – on découvre, deux ans plus tard, une jeune femme fragile, mais résolue à regarder l’apocalypse qui couve droit dans les yeux. Front Row Seat to Earth porte déjà en lui ses préoccupations : l’amour bradé sur l’autel du consumérisme, le vivre-ensemble sapé par la technologie et la cause écologique, perceptible jusque sur la pochette.

Alors qu’on la croit allongée sur une bande de sable, elle se prélasse en réalité sur un monticule d’arêtes de poissons, morts en raison de l’assèchement d’un lac artificiel… Puis arrive le coup de grâce avec Titanic Rising (2019), bijou pop et grand album tout court, où elle se représente en train de boire la tasse. Mais si la montée des eaux a bien eu lieu, Weyes Blood évite la noyade. Au contraire, elle surnage.

Car chez elle, si les sujets qu’elle aborde peuvent être pesants et lester l’auditeur pour l’emporter vers les profondeurs, sa musique tend vers la lumière. Le mieux, c’est qu’elle n’invente rien, mais elle le fait avec une telle honnêteté (et talent) qu’à chaque coup, l’issue en est bluffante. Son cinquième album, And in the Darkness, Hearts Aglow, n’apporte aucune réelle nouveauté par rapport au précédent, mais sublime tout ce qu’il touche.

Sa voix vaudrait à elle seule la peine de sauver l’humanité

Les cinq premiers morceaux, courant sur près de six minutes chacun, démontrent l’habilité de Weyes Blood à tisser des classiques. L’orgue, les chœurs et des élans gospel sont là pour rappeler ses origines au cœur d’une famille archicroyante. Le reste prouve que chaque chanson n’a pas vraiment de limite, ni dans le style ni dans l’inventivité.

Une fois encore, la palette sonore, qui prend tout son temps pour se dévoiler, emprunte une multitude de chemins de traverse, sublimés par son collaborateur Jonathan Rado (du groupe Foxygen). On saute ainsi de la folk à guitare aux synthétiseurs aériens, de la pop orchestrale au rock apaisé, le tout serti d’instrumentaux épiques et de courts interludes charmeurs.

Au-dessus de cette mêlée aux airs baroques, dans une invitation à prendre de la hauteur sur les tristes considérations terriennes, sa voix, de mélancolie et de puissance conjuguées, atteint des sommets de grâce. Elle vaudrait à elle seule la peine de sauver l’humanité. Des chants d’oiseaux de passage saluent d’ailleurs la performance.

Du spleen et de la lucidité : voilà la combinaison gagnante de Weyes Blood, qui promet d’ajouter un nouvel album à ce qu’elle imagine, depuis 2019, comme un triptyque inspiré par le «sentiment d’une catastrophe imminente». Elle avait tiré la sonnette d’alarme avec Titanic Rising et, là, avec sa suite réalisée en plein confinement, elle met en lumière les nuances de tous ces sujets préoccupants, sans tomber dans une naïveté béate. Au contraire, elle ne prend pas de pincettes.

Dans The Worst Is Done, elle chante : «Ils disent que le pire est fait / Mais je pense qu’il reste à venir». Dans Children of Empire, elle rajoute une couche : «Nous n’avons plus le temps d’avoir peur». Alors, à défaut de vite trouver des solutions, il convient de se reconnecter (pour de vrai) et accepter ensemble une certaine fatalité. C’est tout le sujet d’And in the Darkness, Hearts Aglow, à la délicatesse trompeuse. Ce serait bête de s’endormir.

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