Accueil | Monde | Sûreté nucléaire en France : un projet de réforme contesté arrive au Sénat

Sûreté nucléaire en France : un projet de réforme contesté arrive au Sénat


Une centrale nucléaire dans le sud de la France. (photo d'illustration AFP)

Fusionner l’ASN, gendarme du nucléaire, avec l’IRSN, expert de la sûreté, pour adapter la France à la relance de l’atome : le projet de réforme du gouvernement débute mercredi son parcours parlementaire au Sénat, globalement favorable malgré de nombreuses oppositions politiques, associatives et syndicales.

Décidé dans le huis clos d’un conseil de politique nucléaire à l’Élysée en février 2023, glissé dans un simple amendement législatif au printemps puis retoqué au Parlement, le projet de loi sur la gouvernance de la sûreté nucléaire française est enfin remis sur la table.

Dans le contexte d’un vaste plan de relance du nucléaire civil, avec un programme de six nouveaux réacteurs EPR et d’autres qui doivent être annoncés, la réforme vise à « fluidifier » la prise de décisions dans le secteur, selon le gouvernement.

Pour ce faire, l’exécutif défend la vision d’une grande « Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection » (ASNR), créée au 1ᵉʳ janvier 2025. Cette nouvelle entité émanerait de la fusion de l’Institut de radioprotection et de sûreté Nucléaire (IRSN) – la « police scientifique » du secteur – et de l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) – le gendarme des centrales. Deux structures nées dans les années 2000 des leçons de la catastrophe de Tchernobyl.

Les défenseurs de ce modèle plaident pour une « efficacité » renforcée et des délais réduits dans les processus d’expertise, d’autorisation et de contrôle. Ses opposants, au contraire, redoutent un manque de transparence et une porosité néfaste entre experts et décideurs.

« Ce scénario présente des risques avérés pour des bénéfices hypothétiques », s’est alarmée ces derniers jours l’intersyndicale de l’IRSN, qui voit dans cette réforme une « dispersion des compétences d’expertise » et une « déstabilisation du système de gouvernance » de la sûreté.

« Additionner les forces »

Les 1 600 salariés de l’IRSN sont appelés à manifester jeudi à Paris depuis la place d’Italie jusqu’aux abords du Sénat, qui sera en plein examen du texte.

Fin 2023, les représentants des salariés de l’ASN étaient, eux aussi, montés au créneau pour dénoncer le « manque de transparence » du processus de fusion et demander à y être associés.

De nombreux experts du secteur comme les associations environnementales ou d’information aux riverains des centrales nucléaires y sont également opposés.

« Le système dual a prouvé toute son efficacité. Préservons-le, renforçons-le, et maintenons un modèle de sûreté qui nous permet d’avoir la confiance de la population », exhorte le sénateur socialiste Sébastien Fagnen, opposé à cette fusion.

La majorité sénatoriale, une alliance de la droite et du centre, y est en revanche favorable: le projet a été adopté la semaine passée en commission, assorti d’une cinquantaine d’amendements.

« Il est nécessaire de gagner en efficacité et en cohérence alors que nous entrons dans une une ère nouvelle (dans la sûreté). L’idée, c’est d’additionner les forces », assure le sénateur Les Républicains Patrick Chaize.

Béchu au banc ? 

« Il est tout à fait légitime que cette nouvelle organisation suscite des interrogations. Mais je suis persuadé qu’elle participera à l’attractivité des métiers du nucléaire, qu’elle permettra des mobilités professionnelles en son sein », prolonge le centriste Pascal Martin, rapporteur du projet de loi.

La majorité sénatoriale a fait adopter en commission toute une série de mesures censées garantir la transparence de la future ASNR, tout comme la distinction entre « expertise » et « prise de décision » au sein de cette nouvelle entité.

Ainsi, un amendement impose que soient publiés les résultats d’expertise, tandis qu’une autre mesure crée une « commission d’éthique et de déontologie » chargée de « prévenir » d’éventuels conflits d’intérêt.

Le projet de règlement intérieur de la future entité devra par ailleurs être présenté à l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (Opecst).

Fait rarissime, les sénateurs ont préparé l’examen de ce texte sans pouvoir auditionner de ministre en charge de la réforme dans les dernières semaines: initialement porté par Agnès Pannier-Runacher à la Transition énergétique, le projet de loi est retombé dans le périmètre du large ministère de Christophe Béchu, en attendant la nomination d’un ministre délégué.

Un vote solennel est prévu mardi (14 h 30) au Sénat sur ce projet de loi, avant sa transmission à l’Assemblée nationale.