Les dénonciations de refoulements de migrants de Grèce en Turquie se multiplient depuis mars. Athènes, montré du doigt, ne cesse de démentir tandis que la mise en cause de Frontex, l’Agence de surveillance des frontières européennes, contraint l’UE à réagir d’urgence.
A la demande d’Ylva Johansson, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, l’Union européenne réunit mardi le conseil d’administration de Frontex en réunion extraordinaire.
Une « enquête est en cours », selon Chris Borowski, porte-parole de Frontex. L’agence européenne est accusée par plusieurs médias, dont le magazine allemand Spiegel, d’être impliquée dans des incidents de refoulement de bateaux de demandeurs d’asile.
Principale porte d’entrée de l’UE, la Grèce reçoit l’aide de Frontex en mer Egée et à sa frontière terrestre avec la Turquie, qui fin février avait poussé des milliers de migrants vers l’Europe.
Arrêté par la police grecque après avoir traversé la frontière gréco-turque mi-octobre, Hamza, demandeur d’asile marocain, a raconté à l’AFP avoir été incarcéré avec d’autres réfugiés.
« La police m’a frappé, m’a volé toutes mes affaires dont mon passeport », a-t-il dit début novembre par téléphone.
« Des hommes cagoulés habillés tout en noir sont arrivés, on ne voyait que leurs yeux. (…) Ils nous mis dans des fourgons, nous ont emmenés au fleuve et nous ont forcés à traverser sur des petits bateaux » vers la Turquie, a témoigne le migrant depuis Istanbul.
Même récit d’un migrant sorti de force du camp de Diavata, dans le nord de la Grèce. « Ils m’ont mis dans un véhicule avec d’autres réfugiés, on nous a amenés dans un commissariat où un policier m’a attrapé par le cou et j’ai été expulsé en Turquie », a rapporté le jeune homme cité par l’ONG Josoor.
« Désinformation » turque
Des journalistes de l’AFP avaient vu en mars, le long de la frontière terrestre marquée par le fleuve Evros, des soldats grecs encagoulés embarquant des migrants dans des véhicules militaires ou des fourgonnettes sans plaques d’immatriculation.
Les refoulements, qui consistent à repousser des migrants avant qu’ils n’aient pu déposer leur demande d’asile, se seraient également multipliés aux frontières maritimes de la Grèce, selon plusieurs médias et ONG, dont Amnesty International et Oxfam.
Principaux mis en cause: les garde-côtes grecs. L’UE et le Haut commissariat des réfugiés (HCR) ont appelé cet été le gouvernement grec à ouvrir une enquête mais celui-ci, dont la priorité est « la sécurité » des frontières, a démenti avoir pratiqué de tels refoulements.
En août, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a catégoriquement réfuté ces accusations sur CNN, accusant la Turquie voisine d’avoir orchestré une « désinformation ».
Le New York Times venait de publier des témoignages selon lesquels la Grèce « abandonnait » des migrants en mer, laissant les garde-côtes turcs leur porter secours.
Frontex bloque un bateau de réfugiés
L’affaire a pris une nouvelle tournure le 24 octobre avec la publication d’une enquête du Spiegel qui dit « montrer pour la première fois que les responsables de Frontex sont conscients des pratiques illégales des gardes-frontières grecs et sont en partie impliqués dans les refoulements eux-mêmes ».
Six cas survenus depuis avril en mer Egée sont cités. Dans un cas, en juin, une vidéo montre un navire de Frontex bloquant un bateau de réfugiés, puis, dans une autre scène enregistrée, passant devant le bateau de réfugiés à grande vitesse avant de quitter les lieux.
Sans mentionner cette enquête, Frontex a indiqué sur son compte Twitter avoir été « en contact avec les autorités grecques à propos d’incidents en mer ces derniers mois », précisant qu’Athènes avait ouvert une « enquête interne ».
En octobre, l’ONG Aegean Boat Report a recensé « 32 refoulements en Egée effectués par les gardes-côtes grecs, soit 881 personnes ».
« L’OTAN et Frontex patrouillent dans cette zone depuis longtemps, il n’y a aucun doute sur leur connaissance des faits », assure à l’AFP Tommy Olsen, fondateur de cette ONG.
Le HCR s’est dit « préoccupé du nombre croissant de rapports crédibles de retours présumés officieux en Turquie », a déclaré à l’AFP Stella Nanou, porte-parole de l’agence onusienne à Athènes.
A l’instar de Human Rights Watch, le HCR demande à Frontex d’enquêter elle-même sur sa « présumée implication », car elle a la responsabilité de mettre fin ou de suspendre ses activités partout où il y a violation des droits fondamentaux ».
AFP