« Dehors c’est la ‘guerre’ contre le coronavirus, ici ça va chauffer »: des détenus, joints par l’AFP en prison, racontent leur quotidien bouleversé par les mesures de confinement et la « rage » qui monte chez les plus jeunes.
« Ce qui fait que les détenus ne pètent pas les plombs dans les prisons françaises, c’est le téléphone et le shit », assène Tariq, 31 ans, en détention provisoire à la maison d’arrêt de Meaux-Chauconin, en région parisienne.
L’annonce jeudi de la télévision gratuite, de crédits pour le téléphone et d’une aide aux plus démunis par la garde des Sceaux se répand comme une traînée de poudre. « C’est bien, mais ça va pas suffire », lâche Sélim*, 40 ans, en détention provisoire aux Baumettes à Marseille. Lui qui suit Nicole Belloubet sur Twitter ne compte pas lâcher son smartphone de contrebande.
Depuis mardi, pour lutter contre la propagation du coronavirus, les parloirs sont suspendus et les activités restreintes pour les 70 000 personnes incarcérées dans le pays.
Plus de parloir, plus de projection…
Conséquence première: plus de visites des familles et difficile de s’approcher physiquement des murs d’enceinte des prisons. « Ici il y a beaucoup de projections en temps normal », explique Tariq, décrivant des jets de petits objets passant entre les mailles des filets tendus au-dessus des cours de promenade.
« Du coup, plus de parloir, plus de projection, ça veut dire plus de stupéfiants. Ca va chauffer en détention s’il n’y a pas de shit », pronostique-t-il.
En maison d’arrêt, où sont incarcérées des personnes pour de courtes peines (moins de deux ans) ou en attente de jugement, « la tension monte », confirme Sélim.
Dans sa prison marseillaise, il tient la chronique de l’épidémie en filmant de mini vidéos. Jour 1 du confinement, il regarde les nouvelles à la télévision et commente, goguenard : « Nous on respecte le couvre-feu ! ».
Jour 2, le vacarme assourdissant des détenus frappant les barreaux de métal des fenêtres couvre presque sa voix: « Eh ouais, ça commence le bordel. Les minots font les cons ».
Problème du linge sale
« Ca râle à cause du linge : ici on donne le linge sale aux familles au parloir, et là on ne peut plus. On n’a que des bassines en cellule, ça gueule », explique-t-il. Il partage sa cellule avec un jeune, qu’il « encadre » comme il peut. « Si en plus y’a plus rien à fumer, dans 3 ou 4 jours, ça va chauffer ».
Ils sont à la fois inquiets et résignés face au virus, conscients d’être dans « le même bateau que les gardiens, pour une fois ».
A Meaux-Chauconin, « les chefs (surveillants) sont venus nous voir, dans chaque cellule, pour nous expliquer la situation. On sent que tout le monde flippe. Ils n’arrêtaient pas de nous dire : c’est le président de la République qui l’a décidé (le confinement) », relate Tariq.
« On est ‘en guerre’, mais nous, on fait comment? », demande-t-il. « Pas de gants, zéro masque et un peu de javel diluée, c’est tout ce qu’on a. »
Au centre de détention de Mont-de-Marsan (Landes), Louis, vieux braqueur de 75 ans, dont 37 en détention, décrit le quotidien d’une prison pour longues peines: « Les portes des cellules sont ouvertes, on circule comme on veut. Comme il n’y pas de téléphone fixe en cellule, tout le monde va à la cabine sur la coursive. C’est jamais désinfecté ».
« Si demain il y a un cas ici, c’est toute la prison qui y passe », estime-t-il.
« J’ai conscience qu’il se passe quelque chose d’exceptionnel et de dangereux, j’ai déjà vécu ça en 1957. J’avais 13 ans, il y a eu la grippe asiatique qui est arrivée de Hong Kong. Il n’y avait pas d’internet mais, déjà, on avait peur. Il y a eu plus de 10 000 morts », se souvient-il.
« Ce qui m’inquiète, c’est que j’ai 75 ans. Par moment, j’ai de petites bronchites. Et là, dit-il, on voit des détenus continuer à arriver et d’autres à qui on refuse des permissions. Ça c’est pas possible ».
Les aides annoncées vont « soulager » mais ne règlent pas « LE problème » de la surpopulation carcérale, disent-ils tous.
« Ici, affirme Louis, il y au moins 30% de détenus qui ont effectué les deux tiers de leur peine et qui pourraient être libérés. Il faut prendre des décisions ».
AFP