Pots-de-vin ou intimidation : les autorités chinoises mettent sous pression des familles de victimes du Covid pour les dissuader d’entrer en contact avec les enquêteurs de l’OMS à Wuhan, affirment des proches de défunts.
Plus d’un an après l’apparition du coronavirus dans la métropole du centre de la Chine, une équipe de l’Organisation mondiale de la santé est arrivée le 14 janvier à Wuhan pour enquêter sur l’origine de la pandémie. Après deux semaines de quarantaine, la dizaine d’experts s’apprête à entamer jeudi son enquête sur le terrain, alors que Pékin s’efforce de convaincre que l’épidémie n’est pas apparue sur son sol et aurait pu être importée.
Dans ce contexte, des proches de victimes accusent le régime communiste de tenter de les dissuader d’approcher les experts internationaux. Ces familles se sont rassemblées l’an dernier pour réclamer des sanctions pour les responsables locaux qui ont minimisé l’épidémie il y a un an, allant jusqu’à réprimander les tout premiers lanceurs d’alerte. Plusieurs d’entre elles ont tenté de saisir la justice mais affirment que leurs plaintes ont été d’emblée jugées irrecevables.
Depuis l’arrivée des experts de l’OMS, la pression des autorités s’est accrue, affirment-elles. Alors que près d’une centaine de parents de victimes échangeaient sur la messagerie WeChat, très populaire en Chine, leur groupe de discussion a été brutalement bloqué il y a une dizaine de jours, rapporte Zhang Hai, l’un des animateurs du mouvement. « Cela montre que (les autorités) sont très nerveuses. Elles redoutent que ces familles entrent en contact avec les experts de l’OMS », affirme cet homme de 51 ans, dont le père est mort au début de l’épidémie, sans que le décès soit officiellement lié au virus, faute de tests à l’époque. « Quand l’OMS est arrivée à Wuhan, (le groupe) a été démantelé de force. Résultat, nous avons perdu le contact avec de nombreux membres », déplore-t-il. Comme d’autres réseaux sociaux en Chine, WeChat, géré par le géant de l’internet Tencent, bloque régulièrement les contenus jugés sensibles par le pouvoir.
Des condoléances à 5 000 yuans
L’épidémie a officiellement tué 3 900 personnes à Wuhan, soit la grande majorité des morts enregistrées en Chine (4 636 décès). Le pays dit avoir enrayé largement la pandémie dès le printemps, même si des cas limités ont éclaté ces dernières semaines dans certaines régions. Avec moins de 90 000 malades selon les chiffres officiels, la Chine reste très loin des bilans enregistrés dans le reste du monde, qui compte désormais plus de 100 millions de personnes contaminées.
Beaucoup de proches de victimes mettent en doute ces chiffres, affirmant que nombre d’entre elles ont succombé avant de pouvoir être formellement identifiées comme malades du coronavirus. Une retraitée, qui pense que sa fille a été emportée par le virus en janvier 2020, a raconté avoir été convoquée la semaine dernière par les autorités qui lui ont intimé l’ordre de ne « pas parler aux médias ni de se laisser manipuler ». « Après ça, elles sont venus chez moi hier, m’ont chanté la même chanson et donné 5 000 yuans (640 euros) au titre de condoléances », a-t-elle témoigné.
Des témoignages précieux
Zhang Hai appelle les experts de l’OMS à avoir « le courage » de rencontrer les familles, disant redouter que ces derniers se laissent embobiner par les autorités ou soient bloqués dans leur enquête. Selon lui, le témoignage des familles sur l’explosion du virus à Wuhan pourrait utilement éclairer les enquêteurs internationaux, au moment où Pékin cherche à évacuer toute responsabilité.
Pour rappel, d’après les premiers éléments fournis par les enquêteurs chinois au début de 2020, le virus aurait été transmis par une chauve-souris à un autre animal, avant de s’attaquer à l’homme. La contamination aurait explosé dans un marché de Wuhan où étaient vendus vivants des animaux sauvages, notamment des pangolins.
Une autre théorie, répandue notamment par l’ancien président américain Donald Trump, incrimine le laboratoire de virologie de Wuhan, où des chercheurs travaillaient sur des coronavirus. Il n’est pas dit que les experts internationaux auront accès à ce laboratoire lors de leur séjour.
LQ/AFP