La militaire ukrainienne Nadia Savtchenko, jugée en Russie pour le meurtre de deux journalistes en Ukraine, a annoncé mercredi la poursuite de sa grève de la faim, au dernier jour d’un procès où elle a adressé un très explicite bras d’honneur à ses juges.
La chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini a demandé mercredi soir à Moscou la libération «immédiate» de la pilote d’hélicoptère, à la suite de Washington, Berlin et Kiev. Paraissant en bonne forme physique malgré plusieurs jours sans boire ni manger, la pilote de 34 ans, devenue une héroïne nationale en Ukraine, a assuré qu’elle «poursuivra (sa) grève de la faim et de la soif» et a réaffirmé son innocence, défiant les juges qui doivent annoncer leur verdict les 21 et 22 mars.
«Peut-être que je vivrai» jusque-là, a lancé Nadia Savtchenko sous les yeux de sa mère et de sa sœur. «Rappelez-vous : ma vie est en jeu. Et je gagnerai. Les enjeux sont élevés et je n’ai rien à perdre». «Voilà mon dernier mot!», a lancé la militaire avant de bondir sur le banc des accusés et d’adresser un spectaculaire bras d’honneur à ses juges. Arrêtée début juillet 2014 sur le territoire russe selon Moscou, la pilote est accusée d’avoir transmis à l’armée ukrainienne la position de deux journalistes russes tués par un tir de mortier dans l’est de l’Ukraine.
Mme Savtchenko accuse de son côté les rebelles prorusses de l’est de l’Ukraine de l’avoir capturée sur le territoire ukrainien et livrée aux autorités russes. Le Parquet russe a néanmoins requis 23 ans de prison contre la pilote, jugée depuis l’été dernier par un tribunal de Donetsk, petite ville russe à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne. Avant son procès, la jeune femme avait déjà observé une grève de la faim de plus de 80 jours, qui avait pris fin en mars 2015, mais c’est la première fois qu’elle est aussi en grève de la soif, ce qui menace encore davantage sa santé.
Une équipe médicale ukrainienne a été empêchée de la voir, selon un de ses avocats, Nikolaï Pozolov, assurant que le tribunal avait refusé à sa mère et à sa sœur le droit de la voir dans sa cellule. Le ministère russe des Affaires étrangères a confirmé que les visites étaient «impossibles» en raison du «comportement provocateur» de Nadia Savtchenko, et a assuré que sa santé «n’est pas alarmante». Au contraire, a jugé la chef de la diplomatie européenne.
«Il ne s’agit plus seulement d’une affaire judiciaire ou politique: désormais c’est une question de compassion et d’humanité. Son état de santé se détériore rapidement et nous craignons tous des conséquences dramatiques», a-t-elle déclaré dans un communiqué, en appelant Moscou à la libérer «immédiatement et sans conditions». En la libérant, a ajouté Mme Mogherini, la Russie se conformerait à «ses engagements sur les droits de l’homme», ainsi qu’aux accords de Minsk, qui prévoient «la libération de tous les otages et personnes illégalement détenues» en lien avec le conflit dans l’est de l’Ukraine.
L’ambassadrice des États-Unis à l’ONU, Samantha Power, a estimé que le procès de Nadia Savtchenko était «une farce» et a appelé la Russie à la libérer «immédiatement». «Sa place est en Ukraine, à travailler avec ses collègues à la Rada (le Parlement ukrainien, ndlr) à la construction d’un avenir meilleur pour son pays», a déclaré Mme Power dans un communiqué. Nadia Savtchenko a été élu députée au Parlement ukrainien en septembre 2014 alors qu’elle était déjà détenue en Russie.
Échange de prisonniers ?
En déplacement en Turquie, le président ukrainien Petro Porochenko a suggéré mercredi un «échange» de prisonniers avec Moscou pour obtenir la libération de la pilote. «Si vous me demandez si un échange est possible je vous dirais oui pour la première fois et ce, en usant de mon droit constitutionnel», a-t-il affirmé. Mais le ministère russe des Affaires étrangères a répété qu’aucun échange entre Nadia Savtchenko et des prisonniers détenus par les autorités ukrainiennes «ne peut avoir lieu avant le jugement du tribunal».
Mercredi, plusieurs centaines de personnes étaient réunies devant l’ambassade de Russie à Kiev, brandissant des drapeaux aux couleurs de l’Ukraine et des pancartes sur lesquelles on pouvait notamment lire «Libérez Savtchenko». Dans le bastion nationaliste de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, le consulat de Russie a été la cible de grenades fumigènes et de feux d’artifice et le drapeau russe a été brûlé, selon un journaliste. La soeur de Nadia Savtchenko, Vera, a publié un appel au calme sur sa page Facebook, demandant de ne pas «détourner l’attention du problème essentiel, la vie de Nadia».
Sanctions
Les ambassadeurs des 28 Etats membres de l’UE ont convenu mercredi à Bruxelles de prolonger jusqu’au 15 septembre les sanctions décrétées contre des personnalités russes et des chefs rebelles de l’est de l’Ukraine pour leur implication dans le conflit. Ces sanctions concernent 146 personnes et 37 entreprises ou organisations. Cette décision doit encore être formellement approuvée au niveau ministériel.
Parallèlement, cinq pays de l’UE (la Lituanie, la Grande-Bretagne, la Pologne, la Roumanie et la Suède) vont appeler l’Union à sanctionner les responsables russes qu’ils jugent impliqués dans le procès de Nadia Savtchenko, a indiqué mercredi le chef de la diplomatie lituanienne Linas Linkevicius.
Le Quotidien/AFP