Joyau du lac de Garde, l’îlot de San Biagio, jadis accessible seulement par bateau, dévoile un sentier de pierre que les touristes peuvent traverser. À cet endroit, la sécheresse a fait descendre le niveau d’eau au plus bas depuis 30 ans.
Un flot ininterrompu de visiteurs, à pied ou à vélo, se déverse sur l’étroit sentier de pierre et de sable apparu entre les rives du lac de Garde et l’îlot de San Biagio, devenu le symbole de la sécheresse frappant l’Italie du Nord cet hiver. Joyau niché dans le sud-ouest du lac de Garde, l’île parsemée de cyprès aux rives désertiques, qui n’était joignable que par bateau dans le passé, attire des familles entières, venues constater les dégâts du changement climatique.
«C’est un spectacle très beau, mais triste en même temps, car c’est dû à la sécheresse. Nous espérons que ce sera de courte durée», confie Alberto Pampuri, un retraité de 62 ans venu à vélo de Brescia, à une quarantaine de kilomètres du lac, avec sa femme et deux amis. Ce phénomène insolite rappelle les passerelles flottantes érigées en 2016 par l’artiste Christo sur le lac d’Iseo. «Mais c’étaient des pontons artificiels, alors que là, c’est une œuvre d’art naturelle!», s’enthousiasme Agata Carteri, une enseignante de 48 ans.
Pénurie de neige sur les cimes des montagnes aux alentours, absence de pluie depuis six semaines, températures douces : ce cocktail explosif a fait descendre l’eau du plus grand lac d’Italie à son plus bas niveau depuis 30 ans en période hivernale. L’eau du lac est à 44 cm au-dessus du zéro hydrographique, son point de référence historique, contre 107 cm l’an dernier, et se trouve ainsi 60 à 70 cm en dessous de la moyenne des dernières décennies.
Une sécheresse record en 2022
Après une sécheresse record pendant l’été 2022, qui a décimé les récoltes, le nord de l’Italie donne à nouveau des signes inquiétants. Les eaux du Pô, le plus grand fleuve italien, sont au plus bas, à l’instar du lac de Garde, mais aussi des lacs Majeur et de Côme.
Il y a cinq ans, Matteo Fiori traversait à pied la baie de Manerba del Garda pour rejoindre l’île de San Biagio, en soulevant son sac à dos au-dessus de sa tête pour le mettre à l’abri des flots. «L’eau m’arrivait jusqu’à la poitrine, c’était l’aventure», raconte ce travailleur social de 45 ans, venu admirer le phénomène de cet isthme sorti des eaux avec sa femme et ses trois enfants.
L’afflux de touristes, inespéré pour un mois de février, est une aubaine pour la petite commune de Manerba del Garda : «L’île est devenue une attraction appréciée hors saison qui fait connaître davantage notre lac», commente son maire, Flaviano Mattiotti. «Si le niveau du lac ne monte pas au printemps, nous sommes prêts à draguer les ports pour faciliter l’accès des bateaux de tourisme, ce qui serait une première», dit-il. Près de 28 millions de touristes ont visité le lac de Garde l’an dernier, dont environ 40 % sont germanophones, en provenance d’Allemagne, d’Autriche ou de Suisse.
Un spectacle très beau, mais triste en même temps
«C’est comme marcher sur l’eau», s’émerveille Afra Vorhauser, venue du Trentin-Haut-Adige, une région italienne germanophone aux confins de l’Autriche, après avoir parcouru la mince bande de terre. «Dès que j’ai vu un reportage sur l’île au journal télévisé allemand, j’ai décidé de venir.»
Sur cet îlot inhabité, connu également sous le nom d’«île des Lapins», des familles pique-niquent sur l’herbe, sous un beau soleil d’hiver, ou se promènent sur les plages arides. Les enfants grimpent sur les rochers et font ricocher des pierres sur l’eau. Cet hiver, on constate «un mouvement touristique nouveau dû à la curiosité de découvrir certaines zones du lac qui sont habituellement sous l’eau», explique Paolo Artelio, président de VisitGarda, l’agence de promotion du lac de Garde. Parmi ces attractions figurent aussi les grottes de Catulle, vestiges d’une villa romaine à la pointe de la péninsule de Sirmione, dont une partie a fait surface.
Cependant, «pour les touristes, rien ne change, car le lac a toujours 136 mètres de profondeur en moyenne, ils peuvent faire du surf, de la voile ou se baigner à volonté», rassure Pierlucio Ceresa, secrétaire général de l’organisme Comunità del Garda, chargé de la qualité de l’eau. Il juge «prématuré de crier au désastre». Selon lui, «il suffit d’une fin février avec de la neige et d’un mois de mars pluvieux pour que la situation revienne à la normale».