Les cas de Covid-19 se multiplient dans les abattoirs de plusieurs pays et les experts en cernent encore mal les raisons, sans doute liées à la promiscuité, mais peut-être aussi à des conditions de froid et de ventilation propres à ces usines.
Les fermetures d’abattoirs se sont multipliées aux États-Unis après de nombreux cas de contamination. Quatre contrôleurs chargés de faire respecter les règles sanitaires sont morts après avoir contracté la maladie. Fin avril, les Centres de lutte et de prévention des maladies (CDC) américains estimaient à près de 5 000 le nombre d’employés d’usines de traitement de viande et de volaille positifs au Covid-19.
En Allemagne, plus de 90 cas ont été découverts ces derniers jours dans un abattoir de Basse-Saxe, après plusieurs centaines d’autres dans plusieurs régions depuis avril. En France, deux abattoirs de l’ouest du pays sont touchés ces derniers jours, avec au moins 100 cas (d’autres tests sont en cours). D’autres cas ont notamment été rapportés en Australie, en Espagne ou au Brésil.
« Le grand nombre d’épidémies dans des usines de traitement de viande du monde entier nécessite des enquêtes », dit la professeure Raina MacIntyre, de l’université de Nouvelle-Galles du Sud, près de Sydney. Cette question se pose à la lumière d’une précédente épidémie provoquée par un autre coronavirus, celle du Mers (syndrome respiratoire du Moyen-Orient), en cours depuis 2012. Une étude publiée en 2015 dans la revue Infection Ecology & Epidemiology montrait qu’une grande partie des dromadaires conduits à l’abattoir à Doha, au Qatar, était porteuse de ce virus, le MERS-CoV. Selon les chercheurs, ces endroits étaient « des vecteurs de sa circulation et des zones à haut risque pour l’exposition humaine ».
La viande hors de cause
A ce stade, ce n’est toutefois pas l’hypothèse que privilégient les scientifiques pour expliquer la multiplication des cas de Covid-19 dans les abattoirs, liée selon eux à l’activité elle-même. Dans un document du 12 mai sur les bonnes pratiques pour les travailleurs, les CDC américains insistent ainsi sur la distance physique, le port de masques ou la désinfection des outils, mais ne mentionnent pas la viande. « Il n’y a pas de chaîne de contamination prouvée à partir de la viande, de l’ingestion de viande (…), on est vraiment sur la contamination des salariés entre eux », a assuré dimanche à la chaîne BFMTV Laurent Habert, directeur général de l’Agence régionale de santé Centre-Val de Loire, au sujet d’un des deux abattoirs français.
Dans des avis publiés début mars puis fin avril, l’agence française de sécurité sanitaire Anses avait conclu qu’il n’existait « actuellement aucune preuve scientifique montrant que les animaux domestiques (animaux d’élevage et de compagnie) jouent un rôle » dans la diffusion du virus. L’Anses écartait l’hypothèse qu’on puisse être contaminé en mangeant un aliment infecté, même si « la possibilité d’infection des voies respiratoires lors de la mastication ne peut être totalement exclue ». D’autant que le coronavirus est neutralisé par la cuisson.
Promiscuité des travailleurs, et donc difficulté à appliquer les gestes barrière, dans un milieu confiné : c’est pour l’heure la principale piste. « Rassembler un grand nombre de personnes et les faire travailler pendant de longues périodes avec de nombreuses occasions de transmission est susceptible d’augmenter le risque », déclare le professeur Archie Clements, épidémiologiste à l’université australienne Curtin. Un avis partagé par Paul Auffray, éleveur de porcs français et vice-président de la Fédération nationale porcine : « Dans les abattoirs comme dans toutes les entreprises où il y a du personnel, forcément il y a de la promiscuité. Donc même avec des mesures barrière, il y a plus de risques », assure-t-il. « Le côté physiquement épuisant de ce travail peut être un obstacle au port du masque, si respirer devient inconfortable », ajoute la Pr MacIntyre.
L’hypothèse des aérosols
Autre critère, les conditions de vie des ouvriers, qui diffèrent toutefois selon les pays. En Allemagne, les mauvaises conditions de travail sont pointées du doigt, ainsi que le recours massif à des entreprises sous-traitantes étrangères. Les abattoirs emploient de nombreux immigrés d’Europe de l’Est, vivant et travaillant dans des conditions d’hygiène douteuses. « Ces métiers sont stressants, et les ouvriers viennent souvent de catégories où le tabagisme et d’autres modes de vie prédisposent aux maladies respiratoires; il est donc possible que ce groupe soit plus à risque que d’autres », relève par ailleurs le Pr Clements, qui a lui-même travaillé dans un abattoir par le passé.
Pour autant, tout cela n’explique pas pourquoi cette industrie semble particulièrement vulnérable par rapport à d’autres secteurs. En matière de promiscuité et de conditions sociales, « je ne pense pas que les abattoirs soient très spécifiques dans l’industrie qui implique un travail à la chaîne », note le professeur Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève.
Dernière hypothèse, celle de conditions spécifiques aux abattoirs, qui faciliteraient la propagation du virus : froid, humidité (nécessaires à la viande) et circuit de ventilation. Ce n’est pas prouvé pour l’heure, mais en théorie, « c’est tout à fait possible », selon le Pr Flahault. Si c’était confirmé, cela appuierait l’hypothèse d’une transmission du virus via de fines gouttelettes exhalées par les malades qui circuleraient dans l’air (les aérosols, dans le jargon scientifique), et non pas uniquement via les postillons, plus lourds. Fortement envisagée, l’existence de ce mode de transmission n’est pas encore scientifiquement prouvée.
LQ/AFP