La Suède va-t-elle à son tour faire le choix du repli dans une Europe déchirée sur sa politique migratoire ? Quelque 7,5 millions d’électeurs ont commencé à voter dimanche en Suède lors de législatives à suspens qui devraient signer la fin de la domination des grands partis au profit de l’extrême droite.
Alors que le Premier ministre social-démocrate Stefan Löfven présente ces législatives comme un « référendum pour l’État-providence », l’extrême droite en a fait un plébiscite contre sa politique migratoire. La Suède, qui compte 18,5% d’habitants nés à l’étranger, a enregistré 160 000 demandes d’asile pour la seule année 2015, la plus forte proportion d’Europe rapportée au nombre d’habitants, 400.000 au total depuis 2012.
En septembre 2015, Stefan Löfven justifiait l’ouverture au nom d’ « une Europe qui n’édifie pas de murs ». Deux mois plus tard, il annonçait un tour de vis migratoire et le rétablissement des contrôles aux frontières. Les enquêtes d’opinion créditent de 16 à près de 25% des voix le parti des Démocrates de Suède (SD) qui, à l’image du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), dénonce l’immigration comme une menace « culturelle » et réclame le renvoi de centaines de milliers de personnes. « Les sociaux-démocrates et un gouvernement conduit par les sociaux-démocrates sont l’assurance que les Démocrates de Suède, un parti extrémiste et raciste, n’auront pas d’influence sur l’exécutif », a déclaré Stefan Löfven à sa sortie de l’isoloir dimanche.
Ancien métallo de 61 ans, le Premier ministre et son parti devraient réaliser leur plus mauvais score depuis l’introduction de la proportionnelle en 1911. Stefan Löfven a perdu des électeurs sur sa gauche et sur sa droite, les uns lui reprochant d’avoir laissé grand ouvertes les portes du pays aux demandeurs d’asile, les autres de les avoir aussitôt refermées.
La participation est généralement une des plus élevées de l’Union européenne (86% en 2014). Si les électeurs d’extrême droite sont en moyenne plus mobilisés, les électeurs d’origine étrangère, eux, se déplacent moins. A Rinkeby, une banlieue défavorisée de Stockholm, Sofie, une quinquagénaire d’origine turque tentait dimanche matin de sensibiliser les habitants. « Je vais voir les gens, je leur demande s’ils ont la nationalité suédoise et si oui je leur dis que c’est important d’aller voter », a-t-elle expliqué.
« Pacte avec le diable »
Dans un quartier chic du centre de Stockholm, Henrik, un médecin de 46 ans venu voter en famille, refuse de révéler son choix mais déplore le stigmate dont l’extrême droite est selon lui la cible. « Une voix pour SD ne sert à rien. Mais ils devraient être pris au sérieux, ils ont soulevé des questions graves, l’immigration mais aussi le système de santé ».
La veille du scrutin, Stefan Löfven a fustigé « les forces haineuses », tandis que le patron des conservateurs, Ulf Kristersson, a appelé à « isoler les forces » du « repli ». Dans son édition dominicale, le quotidien de référence Dagens Nyheter a lui enjoint ses lecteurs de « voter pour la démocratie libérale ».
Le chef du gouvernement est traditionnellement le dirigeant du parti ayant obtenu le plus grand nombre de voix mais le nouveau paysage politique fragmenté de la Suède rend toute conjecture particulièrement hasardeuse. Aucun camp, ni le bloc « rouge-vert » sortant ni l’opposition « bourgeoise » n’étant à même d’obtenir plus de 50% des 349 mandats en jeu au Riksdag, de laborieuses tractations seront nécessaires pour trouver une majorité, ou la moins faible des alliances.
Stefan Löfven a réussi à maintenir son gouvernement minoritaire jusqu’à son terme en arrachant des compromis avec la droite, sur la politique énergétique notamment. Mais l’opposition est déterminée à le déloger, quitte, souhaiteraient certains, à dynamiter le cordon sanitaire qui, jusqu’ici, tient les Démocrates de Suède à distance d’une influence politique directe. Stratégie qui pourrait s’avérer risquée, tant centristes et libéraux ont dit et redit leur refus d’un « pacte avec le diable ». Et sept sympathisants conservateurs sur dix ne veulent pas entendre parler d’une main tendue à l’extrême droite.
LQ/AFP