Silencieux depuis son arrestation, Gabriel Fortin, ingénieur au chômage accusé d’avoir tué en 2021 deux anciens DRH qui l’avaient licencié et une cadre de Pôle Emploi, est apparu mardi matin dans le box des accusés des assises de la Drôme, à Valence.
« Gabriel Fortin, né le 14 février 1975, résidant à Nancy ». Lorsque l’accusé se plie d’une voix franche et sèche aux questions préalables du président de la cour d’assises Yves de Franca, un premier soulagement semble parcourir la salle comble. Jusqu’à la dernière minute, les familles, proches et employeurs des victimes, ont craint de voir le box rester vide, mais l’homme à la carrure épaisse et aux cheveux rasés masquant sa calvitie est finalement apparu sans contrainte dans l’espace vitré.
Vêtu d’un jean et d’une chemise bleu ciel, l’accusé a semblé attentif et calme au moment de la sélection des jurés et du rappel des faits, échangeant quelques mots avec ses avocats. « Il est là, c’est déjà énorme. Il n’y a pas eu besoin ce matin d’un huissier pour lui demander s’il acceptait ou non de comparaître. C’est un premier pas », a déclaré à la presse Denis Dreyfus, avocat de la famille de Patricia Pasquion, tuée dans une agence Pôle emploi de Valence.
Au terme des trois semaines de procès consacré aux trois assassinats, ainsi qu’à une tentative d’assassinat, dans le Haut-Rhin l’Ardèche, puis la Drôme, Gabriel Fortin, en détention provisoire depuis sa mise en examen, encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
« Il y aura des audiences, il y aura une pesanteur, de la vérité qui va sortir. Le fait que (l’accusé) soit là est déjà très important. Restera-t-il? Voudra-t-il parler? Ce sont les vraies bonnes questions », a réagi de son côté Me Dominique Arcadio, avocat du mari et les deux enfants de Géraldine Caclin, tuée à 51 ans.
Le procès, qui compte une trentaine de parties civiles, doit rentrer dans le vif du sujet mardi après-midi avec les premiers témoins de personnalité, dont la mère de l’accusé. « Il va falloir faire face (…) Défendre l’indéfendable ce n’est pas possible. La plus grosse appréhension (pour moi) c’est les avocats de la défense qui vont sortir des salades que je ne vais pas pouvoir écouter », a confié aux journalistes Jean-Luc Pasquion, mari de Patricia Pasquion.
« Lâcheté à l’état pur »
En 2021, le périple sanglant du meurtrier avait provoqué un fort émoi dans le pays. Le 28 janvier un peu après 08H30, Patricia Pasquion, 54 ans, cadre dans une agence Pôle Emploi, est abattue par un homme au visage masqué. Un témoin note la plaque d’immatriculation de la voiture du tireur.
Quelques minutes plus tard, le même homme parcourt la courte distance qui le sépare de Guilherand-Granges (Ardèche), où Géraldine Caclin, responsable des ressources humaines de Faun Environnement, est à son tour abattue dans les locaux de l’entreprise. Gabriel Fortin est arrêté dans sa voiture quelques instants plus tard, sa plaque d’immatriculation ayant été repérée par des policiers.
Stupeur, quand l’enquête établit rapidement un rapprochement avec des faits commis moins de deux jours plus tôt à des centaines de kilomètres de là: la mort d’Estelle Luce, le 26 janvier, tuée par balles dans sa voiture, sur le parking de l’entreprise Knauf, dans la petite ville de Wolfgantzen (Haut-Rhin). Puis, le même soir, à Wattwiller, l’agression d’un cadre – qui se révèlera être l’un de ses anciens collègues dans une entreprise d’Eure-et-Loir entre 2006 et 2008 – blessé par balle par un homme qui avait réussi à s’enfuir.
Me Dominique Arcadio voit de la « lâcheté » dans le parcours meurtrier de Fortin, qui suit le fil de ses échecs professionnels. « Etre licencié fait partie de l’existence (…) Or il n’a rien trouvé rien trouvé d’autre à faire que d’aller chercher des innocents, c’est de la lâcheté à l’état pur », a fustigé l’avocat.
Socialement isolé, l’ingénieur discret habitant Nancy, amateur de tir sportif, vivait le chômage comme une injustice et ne supportait pas d’être déclassé socialement. Dès les premiers jours d’enquête, le parquet avait souligné que ses actes semblaient avoir été minutieusement préparés. L’ingénieur nourrissait une rancoeur tenace: trois des quatre victimes avaient été associées à ses deux licenciements, d’une entreprise d’Eure-et-Loir en 2006 et de Faun Environnement en 2009. Verdict attendu le 30 juin.