L’Arabie saoudite, qui veut sortir de sa dépendance au pétrole, a décidé d’accélérer ses ambitieux projets dans le nucléaire civil mais la partie s’annonce serrée compte tenu des besoins pressants du royaume et des tensions autour du programme iranien.
Mardi soir, à moins d’une semaine d’une importante visite à Washington du puissant prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le gouvernement a officiellement « approuvé la politique nationale sur le programme de l’énergie atomique ». Les intentions de Ryad portent sur la construction des 16 premiers réacteurs nucléaires du royaume au cours des deux prochaines décennies, selon des responsables qui citent un coût total d’environ 80 milliards de dollars (65 milliards d’euros).
Pour l’Arabie saoudite, qui a grandement souffert ces dernières années de la chute des prix du brut, l’objectif est de produire 17,6 gigawatts d’ici 2040, soit un peu plus de 10% de la production totale d’électricité. En octobre, le ministre de l’Énergie Khaled al-Falih a indiqué devant un forum sur l’électricité à Ryad que le programme saoudien commencerait par la construction de deux réacteurs, produisant chacun entre 1,2 et 1,6 gigawatts.
Activités limitées « à des fins pacifiques »
Dès le mois prochain, Ryad devrait ainsi présélectionner deux à trois entreprises internationales parmi cinq groupes originaires de Chine, de Corée du Sud, de Russie, de France et des États-Unis, a récemment précisé à l’agence Bloomberg Abdel Malek al-Sabery, consultant au King Abdullah City for Atomic and Renewable Energy (Kacare). En décembre, le nom de l’entreprise qui construira les deux premiers réacteurs sera connu, selon le consultant. Les travaux de construction devraient débuter l’an prochain avec une mise en service qui n’interviendrait pas avant 2027.
Alors que le grand rival iranien a été accusé dans le passé de prolifération et que le président américain Donald Trump remet ouvertement en cause l’accord international de 2015 avec Téhéran, l’Arabie saoudite semble vouloir apparaître comme le bon élève du Moyen-Orient en matière de nucléaire. Les autorités de Ryad se sont engagées à « limiter toutes les activités atomiques à des fins pacifiques, dans le cadre et selon les droits définis » par les traités internationaux, et ont promis « la transparence » et la sécurité » de leurs installations. Mais les projets atomiques de Ryad suscitent d’ores et déjà des inquiétudes.
En février, le sénateur démocrate américain Ed Markey a demandé à l’administration Trump d’obtenir de Ryad l’acceptation d’un accord de non prolifération nucléaire, dit « accord 123 », du type de ceux déjà signés avec la Corée du Sud, l’Inde et les Émirats. Alors que l’annonce saoudienne coïncide avec le limogeage du secrétaire d’État américain Rex Tillerson, jugé trop mou par Donald Trump sur le dossier iranien, des experts se demandent si Washington se montrera inflexible avec l’allié saoudien ou s’il lèvera les restrictions américaines. La compagnie Westinghouse serait en effet sur les rangs pour les centrales saoudiennes.
Enjeu de taille
En raison de la sensibilité du dossier, le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir s’est contenté de demander que son pays soit traité sur un pied d’égalité avec l’Iran. Dans un Moyen-Orient plus que jamais sous tension, les inquiétudes actuelles sont alimentées « par l’incertitude sur l’avenir de l’accord avec Téhéran et une volonté apparente de Washington d’assouplir les règles dans le cas saoudien, en échange d’avantages économiques », résume l’analyste James Dorsey. A cela s’ajoute « une disposition des Chinois et des Russes à ignorer les risques liés à des contrôles moins stricts », poursuit-il.
S’il est mis en œuvre, le programme saoudien serait le deuxième dans le Golfe après celui des Émirats arabes unis où un réacteur nucléaire, construit par le Sud-Coréen Kepco, entrera en service dès cette année. L’enjeu énergétique est de taille pour l’Arabie saoudite, pays de 32 millions d’habitants où la consommation d’énergie augmente de plus de 5% par an et devrait doubler dans les 15 prochaines années. Le royaume utilise actuellement du pétrole et du gaz pour produire de l’électricité et dessaler son eau, consommant 3,4 millions de barils de brut par jour selon l’organisme Kacare, créé en 2010 par Ryad dans l’idée de dynamiser sa stratégie en matière d’énergies nucléaire et renouvelables.
D’ici à 2040, 55% de l’approvisionnement énergétique proviendra des énergies solaire, éolienne, géothermique et nucléaire, d’après Kacare. Pour satisfaire à la demande d’électricité, l’Arabie saoudite prévoit de réaliser des projets à hauteur de 67 milliards de dollars (54 milliards d’euros) au cours des cinq prochaines années, avance le ministre al-Falih.
Le Quotidien/AFP