Cristina d’Espagne, sœur du roi sur le banc des accusés : pour la première fois, un membre de la famille royale espagnole comparaît depuis lundi devant la justice dans une vaste affaire de corruption, procès auquel elle espère encore échapper in extremis.
Au tribunal de Palma de Majorque dans l’archipel des Baléares, Cristina de Bourbon et son mari ont pris place dans une salle dominée par le portrait du frère cadet de l’infante – Felipe VI, chef de l’État depuis l’abdication du roi Juan Carlos en 2014. « Ce procès est plus excitant qu’aucun autre », assurait Jesús López, retraité de 71 ans, ayant obtenu l’une des rares places réservées au public. « C’est une affaire de corruption de plus de toutes celles que nous avons vues » ces dernières années, lâchait de son côté Francisco Solana, chômeur de 45 ans, manifestant à l’extérieur du tribunal pour « que la justice soit la même pour tous ».
La princesse de 50 ans au strict costume noir est la vedette malgré elle du « procès de l’année ». Aux côtés des 17 autres prévenus, la seconde fille de Juan Carlos et Sofia est soupçonnée d’avoir dissimulé au fisc des revenus issus des détournements de 6 millions d’euros de fonds publics reprochés à son mari, Iñaki Urdangarin, et à un ex-associé de celui-ci. Le juge d’instruction avait tenté de démontrer que l’infante était partie prenante dans les affaires de son époux. Mais le procureur s’est opposé aux poursuites en ce sens et elle n’est finalement jugée que pour fraude fiscale.
L’infante a toujours soutenu qu’elle ne savait rien de ces affaires et faisait une confiance aveugle à son époux depuis 18 ans, ancien médaillé olympique dont elle refuse de divorcer en dépit des pressions exercées par la maison royale, qui aurait voulu limiter les effets toxiques de l’affaire pour la monarchie.
Urdangarin, ancien joueur vedette de handball de 47 ans, deux fois médaillé olympique, et son ex-associé Diego Torres sont notamment accusés d’avoir surévalué les contrats signés entre 2004 et 2006 par l’institut Noos – fondation à but non lucratif dédiée à l’organisation d’évènements sportifs qu’ils dirigeaient – avec les gouvernements régionaux des Baléares et de Valence. Selon l’accusation, les bénéfices étaient répartis entre plusieurs sociétés écran dont Aizoon, propriété de Cristina et d’Iñaki, qui aurait financé des dépenses personnelles du couple, voyages, travaux ou cours de danse…
Demande de nullité contre « justice à la carte »
Urdangarin est jugé pour détournement de fonds, fraude fiscale, trafic d’influence, escroquerie et blanchiment d’argent. Le procureur a requis à son encontre la peine la plus importante, 19 ans et demi de prison, et 16 ans et demi contre Diego Torres. Dans ce procès, seule une association d’extrême droite, Manos Limpias (Mains propres), représente l’accusation publique et demande huit ans de prison à l’encontre de Cristina.
Et au premier jour du procès prévu jusqu’en juin, la défense de la princesse a joué là-dessus pour plaider que la princesse ne peut être jugée pour fraude fiscale puisque ni le parquet ni un avocat représentant de l’État n’ont réclamé de poursuites au nom du Trésor public, présumée victime. Elle invoque notamment la « jurisprudence Botin » : en 2007, la Cour suprême avait en effet validé un non-lieu en faveur du puissant banquier Emilio Botin, estimant qu’il ne pouvait être jugé car ni le parquet ni les parties lésées n’avaient déclenché de poursuites. « Nous demandons respectueusement (…) la nullité de l’acte de l’accusation en ce qui concerne Cristina de Bourbon », a déclaré un de ses avocats, Jesús María Silva.
L’avocate de Manos Limpias, Virginia López Negrete, avait par avance répliqué devant la presse : « Tous les citoyens sont égaux devant la loi, des jurisprudences anachroniques ne peuvent pas s’appliquer ». Et le responsable de Manos Limpias, Miguel Bernad Remón, avait protesté contre « une justice à la carte pour que ne s’assoient pas au banc des accusés d’abord le plus grand banquier d’Espagne puis un membre de la famille du roi ».
Quant à l’ancien professeur de gestion des entreprises, Torres, il a réaffirmé dans une interview télévisée dimanche soir que le roi Juan Carlos était au courant des affaires de Noos, en soutenant que la maison royale savait « ce que nous faisions. Ils disaient ça me semble très bien, allez-y, ils nous guidaient, nous avons toujours agi de bonne foi ».
AFP