L’Argentine est devenue mercredi l’une des rares nations d’Amérique du sud à autoriser l’avortement, après l’adoption par le Congrès d’une loi, qui a profondément divisé l’opinion publique.
Déjà approuvé par les députés le 11 décembre, le texte autorisant l’avortement jusqu’à 14 semaines de grossesse a été voté par les sénateurs avec 38 voix pour, 29 contre et une abstention, deux ans après l’échec d’une première tentative qui avait déjà secoué le pays.
« C’est devenu une loi et cela passe désormais dans les mains de l’exécutif », s’est félicité la présidente du Sénat et ancien chef de l’État, Cristina Kirchner, à l’issue d’un débat homérique de plus de douze heures. Des milliers de partisans du « oui » ont manifesté leur joie devant le Parlement, où seulement quelques sénateurs étaient présents, la plupart débattant par visioconférence en raison de la pandémie.
« Après tant de tentatives et des années de lutte qui ont fait couler du sang et nous ont coûté des vies, aujourd’hui nous avons enfin fait l’Histoire. Aujourd’hui, nous laissons un monde meilleur pour nos enfants », a lancé Sandra Lujan, une psychologue de 41 ans, qui participait à la veillée organisée par les partisans de l’avortement reconnaissables à leur couleur verte.
Jusqu’ici, l’avortement n’était permis en Argentine qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, selon une loi datant de 1921.
Alors que les députés avaient adopté le texte par 131 voix pour, 117 contre et 6 abstentions, le vote du Sénat, réputé plus conservateur, semblait loin d’être acquis. En 2018, il avait rejeté par sept voix un texte similaire dans un pays encore très catholique et profondément divisé sur la question.
« Cette loi n’oblige pas à avorter, elle ne promeut pas l’avortement, elle lui donne seulement un cadre légal », a déclaré au cours des débats le sénateur membre de la majorité Sergio Leavy. Le président de centre gauche Alberto Fernandez, au pouvoir depuis fin 2018, avait promis pendant sa campagne de soumettre à nouveau la légalisation de l’IVG aux parlementaires. « Je suis catholique, mais je dois légiférer pour tous, c’est un sujet de santé publique très sérieux », a fait valoir récemment le chef de l’État. Mais tous les sénateurs de sa majorité ne sont pas favorables au texte.
Le pape argentin François, jusque-là silencieux sur la question, a publié mardi un message sur Twitter dans lequel il souligne que « le Fils de Dieu est né rejeté pour nous dire que toute personne rejetée est un enfant de Dieu. Il est venu au monde comme un enfant vient au monde, faible et fragile, afin que nous puissions accepter nos faiblesses avec tendresse ».
Bien que ne faisant pas référence explicitement au débat, le message a été interprété par la presse argentine comme un rejet de la loi.
De 370 000 à 520 000 avortements clandestins
Malgré la pandémie, plusieurs milliers d’Argentins s’étaient rassemblés à proximité du Parlement pour exprimer leur soutien ou leur rejet, avec force banderoles, musique et des écrans géants transmettant les débats en direct.
« Sénateurs, c’est maintenant ! » pouvait-on lire du côté des pro-IVG.
« Nous sauvons deux vies », proclamaient les anti-IVG. L’Église catholique et les protestants évangéliques, opposés au texte, avaient lancé un appel à « s’unir pour implorer le respect et le soin de la vie à naître », avec une journée de jeûne et de prière.
Selon le gouvernement, entre 370 000 et 520 000 avortements clandestins sont pratiqués chaque année dans le pays de 44 millions d’habitants, où 38 000 femmes sont hospitalisées pour complications lors d’avortements clandestins. Pour tenter de convaincre les sénateurs de voter le texte, ce dernier incluait la possibilité pour les médecins de faire valoir leur « objection de conscience ».
Parallèlement, un autre projet de loi créé une allocation des « 1 000 jours » destinée à soutenir les mères de famille pendant leur grossesse et les premières années de l’enfant, de façon à réduire les avortements pour raisons économiques.
Avec ce texte, l’Argentine rejoint Cuba, l’Uruguay, le Guyana et la province de Mexico, les seuls à autoriser l’IVG sans conditions en Amérique latine.
LQ/AFP