La Cour suprême des Etats-Unis examine mardi une mesure phare de Joe Biden visant à annuler une partie de la colossale dette étudiante, un dossier aux enjeux économiques faramineux et à haut risque pour le président démocrate.
« Cette aide est cruciale pour plus de 40 millions d’Américains qui se remettent de la crise économique causée par la pandémie », a tweeté Joe Biden juste avant l’audience, en affichant sa « confiance en la légalité » de son plan. « Soulager les emprunteurs est légal » ou « Ecrasons la dette étudiante », proclamaient aussi des pancartes brandies par près de 200 manifestants réunis au petit matin devant le temple du droit américain.
Parmi eux, Lamar Brooks, 22 ans et étudiant en psychiatrie, a expliqué à l’AFP avoir déjà accumulé 18.000 dollars de dette. Eligible au plan Biden, ce jeune Afro-Américain estime que cela « pourrait aider d’autres minorités et soulager le fardeau » hérité du passé.
A 10H00 (15H00 GMT), ses neuf sages ont commencé à passer au gril les représentants du gouvernement de Joe Biden, qui se pose en défenseur des classes moyennes et populaires, et les détracteurs de ce programme qui dénoncent un abus de pouvoir coûteux. Leur arrêt, attendu avant le 30 juin, aura un impact direct pour les finances des anciens étudiants mais pas seulement: la haute juridiction, solidement ancrée dans le conservatisme, pourrait profiter de ce dossier pour limiter les marges de manoeuvre du président.
Les juges vont jongler avec des sommes folles. Près de 43 millions d’Américains ont des crédits étudiants fédéraux à rembourser pour un montant global de 1.630 milliards de dollars.
Au début de la pandémie, alors que l’économie entrait en hibernation, l’administration du président républicain Donald Trump avait suspendu le remboursement de ces crédits en vertu d’une loi de 2003 permettant de « soulager » les détenteurs de dette étudiante en cas d' »urgence nationale ». Cette mesure a été reconduite sans interruption jusqu’ici.
A la fin août, le président Biden a voulu aller plus loin: il a annoncé effacer 10.000 dollars de l’ardoise des emprunteurs gagnant moins de 125.000 dollars par an, et 20.000 dollars pour les anciens boursiers.
Les candidats se sont précipités et 26 millions de dossiers ont été déposés, selon la Maison Blanche, qui estime la facture globale pour l’Etat à 400 milliards de dollars. La justice a toutefois bloqué la mise en oeuvre de ce plan après avoir été saisie par une coalition d’Etats républicains, mais aussi par deux étudiants non éligibles aux 20.000 dollars d’annulation.
Ils accusent l’administration démocrate d’avoir outrepassé ses pouvoirs au prétexte de la pandémie et d’avoir engagé l’argent du contribuable sans consulter les parlementaires. Pour eux, la loi de 2003 couvre le gel de la dette et non son annulation.
« Un peu d’air »
« La Cour doit à nouveau empêcher le gouvernement d’invoquer le Covid-19 pour s’emparer d’un pouvoir bien au-delà de ce que le Congrès aurait pu concevoir », ont écrit l’Etat du Nebraska et ses alliés dans un argumentaire transmis en amont de l’audience. « Le ministre de l’Education a agi au coeur de son champ de compétence, dans la droite ligne des objectifs de la loi » de 2003, ont rétorqué les avocats du gouvernement.
La haute juridiction a toutefois déjà infligé plusieurs revers à l’administration démocrate, invalidant des mesures prises pour bloquer les expulsions locatives pendant la pandémie ou obliger certaines populations à se vacciner. Pour éviter un nouveau camouflet, le gouvernement démocrate plaide que les plaignants n’étaient pas en droit de saisir la justice puisqu’ils n’ont « subi aucun préjudice ». Il demande à la Cour de rejeter leur plainte à ce titre, sans se prononcer sur le fond.
A l’inverse, d’autres acteurs, hostiles à un pouvoir fédéral fort, espèrent que le temple du droit américain profite de cette affaire pour couper les ailes au gouvernement fédéral.
« Ce dossier tombe à point nommé et offre une occasion de renforcer des garde-fous constitutionnels pour empêcher des agences administratives et des branches de l’exécutif d’exercer des fonctions législatives », a ainsi écrit la Chambre du commerce, une organisation patronale, en martelant que les autorités « ne peuvent pas prendre de décision politique importante sans autorisation explicite du Congrès ».
La Cour suprême avait utilisé ce raisonnement en juin pour limiter les pouvoirs de l’Agence de protection de l’environnement dans sa lutte contre le réchauffement climatique. Si elle le confirme, le gouvernement pourrait se retrouver incapable d’agir sur les sujets importants, à un moment où le Congrès est lui-même paralysé par les clivages partisans.