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Kenya : la présidentielle boudée par les Kényans, avec un bilan de trois tués dans des violences


(Photo : AFP)

L’élection présidentielle au Kenya jeudi, boycottée par l’opposition et boudée par les électeurs, a été endeuillée par la mort d’au moins trois personnes dans des heurts avec la police, qui ont contraint au report du scrutin à samedi dans quatre comtés de l’ouest.

Convoquée après deux mois d’une crise qui a divisé la Nation, cette nouvelle élection a été marquée par des violences dans les bastions de l’opposition entre certains de ses partisans, qui ont tenté de bloquer l’accès aux bureaux de vote, et la police. Au moins trois hommes ont été tués par balle, dans le bidonville de Mathare à Nairobi, et les villes de Kisumu et Homa Bay, dans l’ouest du pays, selon des sources policière et hospitalière.

Dans l’ouest, la plupart des bureaux de vote sont restés fermés, le matériel électoral n’ayant pu être acheminé et les agents électoraux craignant pour leur sécurité. Cette situation a incité la Commission électorale (IEBC) à reporter le scrutin à samedi dans quatre des 47 comtés du pays (Homa Bay, Kisumu, Migori et Siaya), majoritairement peuplés par l’ethnie luo du leader de l’opposition, Raila Odinga.

Les mêmes difficultés risquent toutefois de se répéter samedi. « Je déclare une semaine de deuil et nous ne participerons pas à une élection si nous sommes en deuil », a ainsi lancé le gouverneur du comté de Kisumu, Anyang’ Nyong’o. Estimant que l’élection ne pouvait être transparente et juste, M. Odinga, 72 ans, avait appelé ses partisans à rester « chez eux » jeudi, laissant la voie libre à une réélection du président sortant Uhuru Kenyatta, 56 ans, face à six candidats mineurs.

Quelque 19,6 millions d’inscrits étaient en théorie attendus dans les 40.883 bureaux de vote. Mais les files d’attente sont restées bien maigres, dans un contraste saisissant avec l’effervescence qui avait marqué le scrutin présidentiel du 8 août, invalidé par la justice pour « irrégularités ».

‘Ils nous tirent dessus’

Tous les supporteurs de M. Odinga n’ont pas suivi son appel à la retenue. A Kisumu, les manifestants ont érigé très tôt des barricades, où ils faisaient brûler des pneus. En fin d’après-midi, la ville et ses alentours étaient quadrillés de dizaines de barrages. La police a fait un usage régulier de gaz lacrymogène et parfois tiré en l’air pour disperser ces groupes. Les mêmes scènes se sont répétées à Siaya et Homa Bay, et dans des bidonvilles de Nairobi, Kibera et Mathare.

« C’est fou, ils nous tirent dessus. Nous manifestons et ils nous tirent dessus. De quel genre de pays s’agit-il? », a déclaré à l’AFP Samuel Okot, 20 ans, venu dans un hôpital de Kisumu avec son ami Joseph Ouma, blessé par balle à un genou. Le pays était placé sous très haute sécurité, après des semaines de climat politique délétère. Au moins 43 personnes ont été tuées depuis le 8 août, la plupart dans la répression brutale des manifestations par la police.

Si le calme a régné ailleurs dans le pays, la participation semblait en très forte baisse par rapport au scrutin du 8 août, y compris dans les zones acquises au pouvoir, lequel avait pourtant tout fait pour s’opposer au report de l’élection souhaité par l’opposition.

Sauf énième rebondissement, Uhuru Kenyatta, fils de Jomo Kenyatta, le père de l’indépendance, devrait être réélu. Mais le leader de l’ethnie kikuyu, la plus nombreuse et influente du pays, semble d’ores-et-déjà avoir perdu son pari.

Quelque 15,6 millions de personnes avaient voté le 8 août, et 8,2 millions l’avaient choisi. Il escomptait faire mieux cette fois-ci, mais tout laisse à penser que ce ne sera pas le cas, même si aucun chiffre sur la participation n’a encore été communiqué.

Déficit démocratique

Sa réélection promet d’être soumise à une multitude de recours en justice. Et, même si elle est finalement officialisée, il souffrira d’un important déficit démocratique, qu’il aura énormément de mal à combler.

Ce nouveau scrutin était organisé après l’annulation le 1er septembre par la Cour suprême de l’élection du 8 août, à l’issue de laquelle M. Kenyatta avait été proclamé vainqueur avec 54,27% des voix, contre 44,74% à M. Odinga. La Cour avait justifié cette décision -une première en Afrique- par des irrégularités dans la transmission des résultats, faisant peser la responsabilité de ce scrutin « ni transparent, ni vérifiable » sur l’IEBC.

Galvanisé par ce jugement, M. Odinga, déjà trois fois candidat malheureux à la présidence (1997, 2007, 2013), a fait pression pour obtenir une réforme de cette Commission. Mais si l’IEBC a entrepris quelques timides changements, l’opposition estime qu’elle reste acquise au pouvoir.

Le président de la Commission, Wafula Chebukati, avait lui-même accrédité cette idée la semaine passée en admettant qu’il ne pensait pas l’IEBC en mesure de garantir un scrutin crédible.

Dénonçant la « dictature » qui s’est abattue sur le Kenya, Raila Odinga a appelé de ses vœux mercredi la création d’un « Mouvement national de résistance » contre « l’autorité illégitime du gouvernement ». Cette crise, la pire depuis les violences politico-ethniques de 2007-2008 (au moins 1.100 morts), a remis en lumière les profondes divisions sociales, géographiques et ethniques qui traversent le Kenya et ses 48 millions d’habitants.

Le Quotidien / AFP

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