Des milliers d’habitants du Nagorny Karabakh se sont réfugiés en Arménie, malgré la promesse de l’Azerbaïdjan, réitérée lundi par son président Ilham Aliev, que les droits des Arméniens qui resteront dans cette enclave conquise la semaine dernière par son armée seraient « garantis ».
Toutes les personnes y vivant, « quelle que soit leur ethnie, sont des citoyens de l’Azerbaïdjan. Leurs droits seront garantis par l’Etat azerbaïdjanais », a-t-il déclaré pendant une conférence de presse commune avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan au Nakhitchevan, une bande de terre nichée entre l’Arménie et l’Iran et rattachée à l’Azerbaïdjan en 1923. « Nous espérons que l’Arménie saisira la main pacifique qui lui est tendue », a de son côté lancé M. Erdogan.
La visite du chef de l’Etat turc, qui joue un rôle majeur dans cette partie du Caucase, a une valeur symbolique forte, quelques jours seulement après la victoire éclair des soldats azerbaïdjanais contre les troupes de la « république » autoproclamée du Nagorny Karabakh, une région en majorité peuplée d’Arméniens rattachée en 1921 à l’Azerbaïdjan par le pouvoir soviétique.
La Russie, qui voit le Caucase comme son pré carré et a déployé il y a trois ans une force de maintien de la paix dans ce territoire disputé, a de son côté fermement rejeté lundi les critiques émises la veille par le Premier ministre arménien Nikol Pachinian.
« Nous sommes catégoriquement contre les tentatives de faire porter une responsabilité sur la partie russe et les forces russes de maintien de la paix », a ainsi martelé le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, rejetant toute « reproche » sur des manquements supposés. La diplomatie russe est allée jusqu’à accuser l’Arménie, « otage des jeux géopolitiques de l’Occident », de chercher à « détruire » les relations bilatérales, dénonçant une « énorme erreur ».
L’Union européenne devait de son côté recevoir mardi à Bruxelles de hauts représentants de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, deux anciennes républiques soviétiques qui se sont affrontées militairement au Nagorny Karabakh de 1988 à 1994 (30.000 morts) et à l’automne 2020 (6.500 morts).
Afflux de réfugiés
Pendant ce temps, l’afflux sur le sol arménien de réfugiés du Nagorny Karabakh s’est poursuivi lundi, avec d’immenses embouteillages signalés sur l’unique route reliant sa « capitale » Stepanakert à l’Arménie. Au total, ce sont 6.650 personnes « déplacées de force » de cette enclave qui sont entrées depuis dimanche en Arménie après la défaite des combattants séparatistes, selon le dernier bilan du gouvernement arménien.
Dans la ville arménienne de Goris, le centre humanitaire installé dans les locaux du théâtre municipal ne désemplit pas, a constaté un journaliste de l’AFP. Toute la nuit, des réfugiés se sont succédé pour se faire enregistrer, trouver une solution d’hébergement ou un transport vers d’autres régions d’Arménie.
Anabel Ghoulassian, 41 ans, originaire du village de Rev (Chalva en azéri), vient d’arriver en minibus à Goris avec cinq de ses sept enfants – les deux autres sont à Erevan, la capitale arménienne – et son mari.
Au début des combats, la semaine dernière, ils sont tous allés chercher protection dans la base russe de l’aéroport de Stepanakert. Mais ils s’en sont fait expulser après la première nuit et ont ensuite vécu dans un bâtiment abandonné sans toit. « C’étaient des jours horribles, on était simplement assis les uns à côté des autres. Riches ou pauvres, tous au même endroit », a-t-elle raconté.
« Nulle part où aller »
Valentina Asrian, 54 ans, qui habitait dans la localité de Vank, s’est présentée avec ses petits-enfants, dont le dernier-né qu’elle tient dans ses bras. « Qui aurait pu croire que les Turcs (le nom donné aux Azéris par la population locale, ndlr) entreraient dans ce village arménien historique… », s’interroge-t-elle.
« Ils ont bombardé le village, il y a eu des blessés, le mari de ma soeur a été tué », ajoute Valentina, avant de confier: « Je n’ai pas de proches ici, nulle part où aller ». L’Azerbaïdjan s’est pour sa part engagé à permettre aux rebelles qui rendraient leurs armes d’aller en Arménie.
Beaucoup craignent que les Arméniens ne fuient massivement le Nagorny Karabakh, au moment où les forces azerbaïdjanaises resserrent leur emprise. Car outre l’angoisse qui règne parmi les quelque 120.000 habitants du Nagorny Karabakh, la situation humanitaire y demeure très tendue.
« Je veux retourner au Karabakh »
Côté azerbaïdjanais, dans les localités proches du Nagorny Karabakh, comme Terter et Beylagan, beaucoup de ceux qui ont dû par le passé quitter cette région veulent y résider à nouveau. « Bien sûr, je veux retourner au Karabakh, nous sommes fatigués de la guerre et de la peur », lâche Nazakat Valieva, 49 ans, une ancienne ouvrière qui a perdu son mari au cours du conflit.
Pour Azad Abbassov, un professeur d’école, les Arméniens et les Azéris pourraient vivre côte à côte, « nous devons éliminer les germes de l’animosité entre nous ».
« Si les Arméniens quittent le Karabakh, ce n’est pas grave, s’ils restent, c’est très bien pour eux, s’ils acceptent notre citoyenneté », commente Chemil Valiev, un commerçant de 40 ans à Gandja, la deuxième plus grande cité d’Azerbaïdjan, en présence d’une journaliste de l’AFP.
Il s’apprête à monter dans un bus couvert d’une grande affiche montrant le visage juvénile d’un Azerbaïdjanais en uniforme, tué au combat pendant la guerre de 2020. Des pertes qui continuent d’augmenter puisque l’Azerbaïdjan a déploré lundi la mort de deux de ses soldats la veille dans l’explosion d’une mine, tandis que, selon, les Arméniens 200 personnes ont péri dans les affrontements de la semaine dernière.