Avec des dizaines de décès de résidents signalés ces derniers jours, l’épidémie de coronavirus touche de plein fouet les Ehpad, suscitant les craintes d’une «catastrophe» auprès des personnes âgées particulièrement fragiles et l’inquiétude des familles.
« Il faut tout faire pour empêcher le virus de pénétrer dans nos établissements, confiner encore plus » : c’est le cri d’alarme lancé mardi par le directeur d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Haute-Savoie, où sept résidents ont récemment succombé au coronavirus. « J’adresse un message à tous les Ehpad : ce n’est pas du tout comme une grippe, il faut confiner encore plus nos résidents pour ne pas laisser ce virus extrêmement contagieux se propager. Sinon, nous courons à la catastrophe », a poursuivi auprès Éric Lacoudre, gestionnaire de l’Ehpad Le Bosquet de la Mandallazteur, à Sillingy.
Malgré une réclusion stricte et des visites extérieures interdites, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes n’échappent pas au Covid-19, particulièrement virulent parmi leurs résidents. Ainsi, dans l’Est, vingt résidents d’un Ehpad des Vosges, à Cornimont, où vivent 163 personnes âgées, ont trouvé la mort. En Haute-Marne, seize résidents d’une structure de Saint-Dizier sont décédés et une quarantaine sont sur surveillance. Selon une porte-parole de la Résidence Beauregard, à Villeneuve-Saint-Georges près de Paris, le virus a également provoqué la mort de trois résidents depuis le début de l’épidémie, et les 80 autres sont désormais tous isolés dans leurs chambres depuis le 12 mars.«
«La communication c’est « il ne se passe rien, il n’y a rien à voir »»
Depuis plusieurs jours, ces annonces de décès s’accélèrent, inquiétant familles et soignants au chevet des aînés. Comme Marie, 60 ans, dont la mère de 85 ans réside dans un Ehpad en Bretagne. « La situation sanitaire est grave. On pose des questions mais la communication c’est ‘il ne se passe rien, il n’y a rien à voir' », témoigne-t-elle, regrettant que « plus d’une dizaine de personnes présenteraient des symptômes mais ne sont pas hospitalisées ». Les données officielles manquent : selon le dernier décompte, 1 100 décès liés au coronavirus ont été enregistrés en France, mais ce chiffre ne prend en compte que les morts à l’hôpital (et donc testés positifs), pas les décès dans les Ehpad ou à domicile. Contacté sur ce point, le ministère de la Santé n’avait pas donné suite en fin de journée.
À l’Assemblée nationale, le ministre de la Santé Olivier Véran a toutefois assuré mardi avoir donné des « instructions très claires aux agences régionales de santé (ARS) pour faire chaque jour l’état des lieux dans les différents Ehpad ». « Pour les Ehpad qui n’ont pas encore mis en place de mesures barrières, il y a des risques de propagation considérables et des taux de mortalité qui peuvent être catastrophiques », prévient Gaël Durel, président de l’Association des médecins coordonnateurs en Ehpad et du secteur médico-social (Mcoor), estimant qu’environ « 30% des Ehpad » n’ont pas encore de confinement strict. Pour ce médecin, deux choses sont nécessaires pour « éviter une hécatombe »: « l’isolement renforcé » de toutes les personnes suspectées de Covid-19, « avec usage d’un masque, d’une sur-blouse, d’une charlotte et de gants pour les personnels » et la possibilité de tester rapidement les résidents.
Se méfier de «l’effet loupe»
Or, si la promesse du gouvernement de distribuer 500 000 masques par jour pour les personnels des Ehpad est « une bonne chose », « il faut aussi des sur-blouses et des tests », pointe-t-il. Pour les personnes âgées, « il n’y a pas de place à l’hôpital », ajoute le Dr Durel. « Elles sont trop vulnérables et on va privilégier, ce qui est tout à fait compréhensible, des personnes qui ont plus de chance de pouvoir s’en sortir ». Toutefois, pour lui, « il faut rassurer les familles car tout le monde est mobilisé ». Et aussi se méfier de « l’effet loupe que peuvent avoir les bilans de décès, plus visibles dans les Ehpad que pour les personnes qui vivent à domicile », déclare Pascal Champvert, président de l’association des directeurs de structures pour personnes âgées (AD-PA). Il précise que le virus « n’est entré pour le moment que dans quelques établissements sur les 7 500 » que compte le territoire.
LQ/AFP