Infiltration d’espions russes et pertes d’une région stratégique dans le sud: le président ukrainien Volodymyr Zelensky a renvoyé son chef des services de sécurité et la procureure générale, premier remaniement majeur depuis le début de l’invasion russe de son pays.
L’annonce est tombée dimanche soir, d’abord sous forme de décrets présidentiels suspendant le chef des services de sécurité (SBU) Ivan Bakanov, ami d’enfance du chef de l’Etat, et la procureure Iryna Venediktova. Dans son adresse vidéo quotidienne, M. Zelensky leur a alors reproché des efforts insuffisants en matière de la lutte contre les espions et collaborateurs de Moscou.
Plus de 650 enquêtes pour « haute trahison » et « collaboration » avec Moscou visent des collaborateurs du parquet et des forces de l’ordre ukrainiennes, ce qui soulève « des questions très sérieuses » au sujet des deux dirigeants, a souligné le président. Sur sa demande, le Parlement a voté mardi le limogeage M. Bakanov et Mme Venediktova.
« Tout le monde attendait » d’eux des « résultats plus tangibles » dans le « nettoyage des collaborateurs et traîtres » infiltrés, a détaillé lundi un chef adjoint de l’administration présidentielle, Andriï Smyrnov.
Négociations mises à mal
« Le président et son cabinet n’étaient pas contents du travail de Bakanov et de Venediktova » depuis longtemps et l’invasion russe a encore exacerbé la tension, a de son côté estimé auprès de l’AFP le politologue ukrainien Volodymyr Fessenko. Au moins trois hauts responsables du SBU ont été accusés de haute trahison au profit de Moscou ces dernières mois. L’un d’eux, Oleg Koulinitch, limogé en mars et arrêté dimanche, avait été basé à Kherson.
Située aux portes de la péninsule ukrainienne de Crimée annexée par Moscou en 2014, cette région stratégique a été très rapidement occupée par les troupes russes après le début de l’invasion, ce qui a valu au gouvernement d’être accusé d’avoir mal préparé sa défense. « Censé aider Bakanov, cet homme a collaboré avec les services spéciaux russes. C’était un échec gravissime, à mon avis c’est la goutte qui a fait déborder le vase pour Zelensky », analyse M. Fessenko.
Zelensky avait par ailleurs limogé fin mars le chef du SBU dans cette région, Serguiï Kryvoroutchko. Un autre responsable régional du SBU est soupçonné d’avoir livré aux Russes des cartes secrètes de champs de mines censées empêcher leur progression, selon le chef du conseil régional.
M. Zelensky a annoncé lundi soir une « révision des cadres » au sein du SBU, précisant que 28 de ses agents devraient être licenciés prochainement pour « résultats insatisfaisants » et limogeant dans la foulée un des adjoints de Bakanov. Mme Venediktova a elle notamment dirigé l’enquête sur les atrocités commises par les forces russes depuis le début de l’invasion, notamment dans la ville de Boutcha, près de Kiev, devenue un symbole des « crimes de guerre » de Moscou en Ukraine.
Selon l’influent site d’information Ukraïnska Pravda, elle s’est attiré les foudres de la présidence par la médiatisation jugée excessive de ses activités mais surtout par le lancement de procès rapides de soldats russes. Ces procès ont mis à mal les très difficiles négociations sur l’échange de prisonniers de guerre avec la Russie, une priorité du président Zelensky, souligne le site.
Remplaçants dociles
Pour beaucoup en Ukraine, ce remaniement ressemble pourtant à une manoeuvre visant à renforcer le contrôle du chef de l’Etat sur les forces de l’ordre, les successeurs de M. Bakanov et Mme Venediktova étant considérés comme plus dociles. M. Zelensky a remplacé les responsables limogés par leurs adjoints respectifs – Vassyl Maliouk et Oleksiï Symonenko – en les nommant par intérim.
« Il est clair » que ces hommes « vont exécuter tous les ordres politiques » de la présidence, estime Tetiana Chevtchouk, une experte de l’ONG ukrainienne Centre d’action contre la corruption, citée par le site Forbes Ukraine.
Alors que l’Ukraine, sous la pression de l’Occident, est sur le point de se doter d’un procureur anticorruption indépendant, le nouveau procureur général aura les moyens de « bloquer ou annuler » les décisions de ce dernier selon les souhaits de la présidence, prévient de son côté le directeur de cette ONG, Vitaly Chabounine.