La chute de Michel Barnier inquiète les Européens : la France apparaît affaiblie sur le plan économique et de plus en plus imprévisible sur le plan politique, au moment où l’Union européenne tente, dans la douleur, de s’organiser avant le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis.
Il y a trois mois, la nomination à Matignon de l’ancien négociateur du Brexit avait été plutôt bien accueillie à Bruxelles, où il jouit d’une image de sérieux et d’opiniâtreté.
La censure de son gouvernement mercredi soir suscite donc des inquiétudes. « Nous suivons de très près ce qu’il se passe en France (…) Ce que nous constatons pour l’instant, c’est un effet économique contenu et limité », a relativisé un porte-parole de la Commission européenne jeudi.
Mais « la France est affaiblie » et Emmanuel Macron lui-même « n’est plus en position d’orienter l’Union européenne comme il l’a fait », tranche l’analyste Eric Maurice, de l’European Policy Center. « Cela ne bloque pas forcément l’Union européenne mais la France sera moins en position de peser sur les décisions ».
« Évidemment, Emmanuel Macron est plus faible et c’est un souci », abonde un diplomate européen. La France ne peut « pas se concentrer à 100 % sur les grandes orientations de travail au sein de l’UE ».
Un manque de leadership à Paris et Berlin
Les défis sont nombreux pour la nouvelle équipe de la Commission entrée en fonction le week-end dernier. Elle doit notamment préparer l’arrivée au pouvoir de Donald Trump le 20 janvier, avec de possibles hausses des taxes douanières sur les produits européens, et un éventuel désengagement des États-Unis en Ukraine.
Mais le bloc européen souffre d’un manque de leadership à Paris, comme à Berlin, où le chancelier Olaf Scholz est, lui aussi, affaibli et pourrait perdre les élections anticipées du mois de février.
Selon le centriste Pascal Canfin, ce « leadership vacant » ne pose pas de problème pour les « grands sujets comme l’Ukraine », pour lesquels « il y a une stabilité » des positions portées par Emmanuel Macron. Mais cela empêche les initiatives ministérielles sur les dossiers « moins majeurs », estime l’eurodéputé français.
« Enfant à problèmes »
Et « à l’heure de l’arrivée de Donald Trump, on a besoin d’une synchronisation entre Bruxelles, Berlin et la France. Là, ça devient beaucoup plus difficile », regrette l’eurodéputé néerlandais Dirk Gotink.
Avec ses déficits, la « France est l’enfant à problèmes de l’Europe », lance cet élu de droite, qui juge que les députés français ont fait preuve d’un « court-termisme total » en censurant Michel Barnier. « Le prochain Premier ministre sera confronté aux mêmes difficultés, avec encore moins de marges de manœuvre ».
Pour l’écologiste allemand Daniel Freund, « la chute du gouvernement français à ce moment clé est inquiétante, d’autant plus que l’Allemagne n’a pas de gouvernement stable ». Mais c’est « la faute d’Emmanuel Macron, incapable de former une coalition avec une alliance de gauche », juge cet eurodéputé vert.
« Comment les Français vont se sortir de là »
Même si le président français parvient à nommer rapidement un nouveau Premier ministre, le « problème de long terme ne sera pas du tout résolu », estime de son côté Sophie Pornschlegel, spécialiste des politiques européennes au think tank Europe Jacques-Delors. « Le paysage politique français est complètement fragmenté avec une extrême droite très forte ».
« On se demande comment les Français vont se sortir de là. Il y a beaucoup d’inconnues, glisse une diplomate européenne. On voit avec consternation un pays qui n’a pas du tout l’habitude de former des coalitions et trouver des compromis ».
Sur le plan économique, avant la censure de Michel Barnier, Bruxelles avait encouragé les efforts budgétaires français en donnant son feu vert au scénario proposé par Paris d’une réduction du déficit public à 5 % du produit intérieur brut en 2025, avant un retour « dans les clous » en 2029 à 2,8 %.
L’incertitude plane désormais sur le budget français. La France figure en Europe parmi les cancres. Avec un déficit en net dérapage, attendu cette année à 6,2 % du PIB, elle affiche la pire performance des Vingt-Sept à l’exception de la Roumanie, très loin du plafond de 3 % autorisé par les règles de l’UE.
Un fonctionnaire de la Commission tempère. « Ce n’est pas du tout les mêmes inquiétudes que lors de la crise grecque ».