MSF dénonce le manque de volonté politique du gouvernement pour endiguer l’épidémie de coronavirus. Une absence de stratégie de santé publique qui tue des milliers de Brésiliens.
L’heure est grave : c’est une véritable «catastrophe humanitaire» qui est en train de se jouer au Brésil, a alerté jeudi Médecins sans frontières (MSF) au cours d’une visioconférence internationale. Avec plus de 360 000 morts dues au coronavirus, le Brésil est en effet le deuxième pays le plus endeuillé après les États-Unis. La crise sanitaire s’y est fortement aggravée ces dernières semaines : le Brésil a ainsi déploré plus de 66 000 morts au cours du seul mois de mars et enregistre désormais environ 3 000 décès par jour en moyenne. Quatre-vingt-dix variants circulent actuellement dans le pays, dont le P1, le variant amazonien qui, selon certains spécialistes, s’avère encore plus dangereux.
Pour MSF, présent dans huit États de ce géant de 300 millions d’habitants, il ne fait aucun doute que le gouvernement brésilien a une grande part de responsabilité dans la situation qui semble aujourd’hui hors de contrôle.
Des autorités désinvoltes
«L’absence de volonté politique pour agir de manière adaptée face à cette pandémie est responsable de la mort de milliers de Brésiliens», s’est insurgé le Dr. Christos Christou, président international de MSF. «Au Brésil, les problématiques de santé publique sont instrumentalisées par le pouvoir politique. En conséquence, les mesures sanitaires à adopter qui devraient être basées sur des faits scientifiques sont davantage associées à des opinions politiques au lieu de servir de cadre pour protéger les individus et leurs communautés.»
Car pour MSF, l’absence d’une coordination nationale, le manque de tests à grande échelle et de système de notifications et les messages contradictoires envoyés par les autorités (quand ce ne sont pas le déni et les fake news propagées par le président d’extrême droite Jair Bolsonaro lui-même) engendrent des mesures souvent confuses, insuffisantes et que finalement la population respecte peu, ne se rendant pas compte de la dangerosité du virus, attitude parfois désinvolte qui en augmente encore le taux de propagation.
Résultat : le personnel médical, en nombre insuffisant, est laissé à l’abandon et se voit contraint «d’improviser des solutions lorsque les lits ne sont pas disponibles». La semaine passée, les unités de soins intensifs de 21 des 27 capitales du pays étaient pleines, fait savoir l’ONG. Une situation catastrophique à laquelle vient encore s’ajouter la pénurie d’oxygène (les besoins dépassent trois fois la capacité de production) et de sédatifs nécessaires à l’intubation, avec pour conséquence des patients qui auraient pu être soignés mais ne l’ont pas été et un taux de décès des intubés bien supérieur au reste du monde (80% pour le Brésil, contre 50% en moyenne à l’échelle mondiale).
Les soignants traumatisés
Des conditions intenables qui pèsent immanquablement sur les soignants, exténués tant physiquement que mentalement et moralement, comme alerte Pierre Van Heddegem, coordinateur d’urgence de la réponse Covid-19 de MSF au Brésil, qui avait déjà témoigné dans nos colonnes au sujet de la situation à Manaus : «Non seulement les patients meurent sans pouvoir accéder aux soins, mais le personnel médical est épuisé et souffre de graves traumatismes psychologiques et émotionnels en raison des conditions de travail.» Un état de fait qui a d’ailleurs conduit MSF à offrir un soutien psychologique au personnel médical dans certaines unités.
«La réponse à l’épidémie de Covid-19 au Brésil doit commencer dans la communauté, et non dans les unités de soins intensifs, s’indigne Meinie Nicolai, directrice générale du centre opérationnel de Bruxelles. Non seulement les fournitures médicales telles que l’oxygène, les sédatifs et les équipements de protection individuelle doivent arriver là où elles sont nécessaires, mais le port du masque, la distanciation physique, les mesures d’hygiène strictes et la restriction des mouvements et activités non essentiels doivent être encouragés et mis en œuvre dans la communauté, conformément à la situation épidémiologique locale.»
Pourtant, tous insistent : «Le Brésil a les capacités et les ressources» de mener à bien une campagne de lutte contre le Covid, preuve en est sa gestion passée de certaines épidémies, comme la grippe H1N1. Mais la campagne de vaccination est aujourd’hui quasiment inexistante. Onze pour cent des Brésiliens ont reçu une dose, et parmi eux, beaucoup n’ont pas eu la seconde.
C’est cette absence de stratégie qui fait le lit des mutations de virus, comme le rappelle Meine Nicolai, qui exhorte les autorités brésiliennes à «reconnaître de toute urgence la gravité de la crise et à mettre en place une réponse centralisée au Covid-19 et un système de coordination pour éviter de nouveaux décès évitables».
Tatiana Salvan