Dilma Rousseff vit peut-être ses dernières heures à la tête du Brésil: les sénateurs se préparent mercredi à l’écarter de la présidence pour la soumettre à un procès en destitution pour maquillages des comptes publics.
Le second mandat de l’impopulaire dirigeante de gauche, âgée de 68 ans, ne semble plus tenir qu’au fil ténu d’un improbable sauvetage in extremis par le Tribunal suprême fédéral (STF).
La présidente a présenté mardi soir un recours de dernière heure devant la haute juridiction, lui demandant d’annuler ce qu’elle dénonce comme un «coup d’Etat» institutionnel «sans armes ni baïonnettes». Les sénateurs sont convoqués à partir de 09h00 heure locale en séance plénière pour se prononcer sur l’ouverture formelle d’un procès en destitution de Dilma Rousseff, première femme élue présidente du plus grand pays d’Amérique latine en 2010.
L’issue du vote, qui devrait intervenir dans la soirée ou dans la nuit, ne fait pratiquement aucun doute. Une cinquantaine de sénateurs sur 81 se sont dits favorables à l’ouverture du procès de cette ex-guérillera torturée et emprisonnée sous la dictature militaire. Soit sensiblement plus que la majorité simple requise de 41 votes.
« Crime de responsabilité »
Sauf énorme surprise, Mme Rousseff sera donc automatiquement écartée du pouvoir pendant un délai maximum de 180 jours, en attendant le jugement définitif des sénateurs, qui pourrait intervenir en septembre.
Elle devrait être remplacée d’ici vendredi par son ancien allié devenu rival, le vice-président Michel Temer, 75 ans, dirigeant du grand parti centriste PMDB qui a claqué la porte de sa coalition fin mars. En cas de destitution définitive de Mme Rousseff, Michel Temer assumerait la présidence jusqu’aux prochaines élections générales (présidentielle et législatives), prévues en 2018.
L’opposition accuse la présidente d’avoir commis un «crime de responsabilité» passible de destitution selon la constitution, en maquillant sciemment les comptes publics pour dissimuler l’ampleur des déficits en 2014, année de sa réélection disputée, et en 2015. Concrètement, il lui reprochent d’avoir fait supporter aux banques publiques des dizaines de milliards de dépenses incombant au gouvernement et d’avoir décrété des dépenses non-inscrites à la Loi de finances sans l’aval préalable du parlement.
« Élection indirecte »
Mme Rousseff allègue que tous ses prédécesseurs ont eu recours à ces tours de passe-passe budgétaires sans avoir jamais été inquiétés et dénonce un prétexte pour l’évincer. «Le dernier jour de mon mandat est le 31 décembre 2018», a-t-elle martelé mardi soir, promettant de lutter jusqu’au bout de «toutes (ses) forces, par tous les moyens légaux, tous les moyens de combat».
Le vice-président Temer et ses alliés «n’arrivent pas à se faire élire à la présidence par le vote populaire. Ils utilisent le processus de destitution pour procéder à une élection indirecte dont le peuple est exclu», a dénoncé Dilma Rousseff. Cette féroce bataille politique atteint son point culminant à moins de trois mois de l’ouverture des jeux Olympiques de Rio de Janeiro, décrochés en 2007 par l’ancien président Lula, mentor politique de Dilma Rousseff, en plein miracle socio-économique brésilien.
Géant paralysé
Le géant émergent d’Amérique latine, septième économie mondiale, tangue aujourd’hui au milieu de la plus grave crise politique historique de sa jeune histoire démocratique. Ce pays continent de 204 millions d’habitants est englué dans sa pire récession économique depuis des décennies: PIB en recul de 3,8% en 2015 et probablement autant en 2016, envolée de la dette, des déficits, du chômage, inflation proche des 10%.
Une grande partie de l’élite politique a été rattrapée par l’énorme scandale de corruption Petrobras, qui éclabousse de plein fouet le Parti des travailleurs (PT gauche) de Dilma Rousseff, au pouvoir depuis 2003, et le PMDB de Michel Temer. Mardi, le Sénat a voté à l’unanimité la destitution et l’inégibilité pour huit ans de Delcidio Amaral, ancien chef de file du PT au Sénat. Incarcéré pendant trois mois pour entrave à la justice dans l’enquête Petrobas, il avait mis en cause Dilma Rousseff et l’ex-président Lula dans cette affaire.
Gouvernement et parlement sont paralysés, dans l’attente d’une résolution de la procédure d’impeachment dont la première étape a été validée le 17 avril par une écrasante majorité de députés. La popularité de Dilma Rousseff s’est effondrée en 2015 à un plancher historique de 10%, et 61% des Brésiliens réclament son départ, selon de récents sondages.
Ils sont à peu près aussi nombreux à souhaiter celui de Michel Temer, crédité de 1 à 2% d’intentions de vote en cas d’élection présidentielle, et à appeler de leurs vœux des élections anticipées pas prévues par la Constitution. M. Temer peaufine en coulisses la formation d’un gouvernement de redressement économique, avec à la clé un programme de mesures impopulaires: coupes budgétaires, réformes du régime des retraites et du droit du travail.
Le Quotidien/AFP