MALI Accorder des crédits à des ruraux précaires participerait à la sécurité alimentaire de la population, voire à la stabilité du pays, en proie à une grave crise sécuritaire depuis 2012.
Au Mali, pays ravagé par des problèmes sécuritaires et économiques et en proie aux conséquences du changement climatique, l’extrême pauvreté (évaluée à moins de 2,15 dollars par jour pour vivre) s’est accentuée ces dernières années pour atteindre 19,1 % de la population en 2022, selon la Banque mondiale. Une situation qui touche particulièrement les zones rurales, lesquelles concentrent 90 % de la pauvreté.
L’agriculture, qui continue d’occuper une place prépondérante dans l’activité économique de la plupart des pays en développement, est un facteur de développement reconnu et reste la source de revenu principal pour les habitants en zone rurale, rappelle l’ONG SOS Faim Luxembourg. Elle permet en effet de créer de l’emploi, de réduire la pauvreté et de garantir la sécurité alimentaire.
Mais pour se moderniser et se développer, cette agriculture de type familial a, entre autres, besoin de services financiers lui permettant de s’équiper. Le problème est que les populations rurales, dans un pays comme le Mali aux infrastructures peu développées et grand comme deux fois et demie la France, n’ont pas accès aux services bancaires, très éloignés, auprès desquels elles ne pourraient de toute façon pas souscrire un emprunt faute de garanties suffisantes.
L’une des solutions plébiscitées par les ONG pour améliorer les conditions de vie de ces populations précaires consiste en la microfinance, c’est-à-dire l’octroi de crédits de faible montant. À cet égard, SOS Faim Luxembourg collabore avec les Caisses villageoises d’épargne et de crédit autogérées en zone Office du Niger (CVECA-ON). Depuis plus de 25 ans, ce réseau spécialisé dans la microfinance met en place des caisses rurales autogérées par les communautés locales dans 65 villages du Mali, notamment dans la région de Ségou (centre). CVECA-ON Ségou accorde à des ruraux des petits crédits à des taux compatibles avec la faible rentabilité des activités agricoles, afin de les aider dans leur production agricole et à commercialiser ces produits.
Avantage substantiel : CVECA-ON Ségou n’exige pas de garanties impossibles à fournir pour les populations. «Nous ne demandons pas de garanties formelles, nous demandons des engagements qui n’ont certes pas de valeur sur le plan juridique, mais nous travaillons avec les notables des villages qui jouent les intermédiaires et auprès desquels les gens engagent leur parole ou un lopin de terre quand ils en ont», explique Ali Cisse, le directeur du réseau CVECA-ON Ségou. Un système de confiance qui fonctionne, assure-t-il : «Même quand ils sont obligés de se déplacer, notamment à cause de l’insécurité, les emprunteurs nous appellent pour nous prévenir qu’ils rembourseront leur dette. Ils comptent toujours revenir dans leur village.»
Cultiver la terre plutôt que faire la guerre
Le système de microfinance participerait par ailleurs à la stabilisation du pays, selon Ali Cisse : «La microfinance est un outil précieux pour la stabilisation d’un pays comme le Mali en proie à l’insécurité, à travers les financements d’activités génératrices de revenus qu’elle accorde à des jeunes qui pourraient être tentés de rejoindre les groupes armés ou de partir en exode», affirme-t-il. «On constate vraiment sur le terrain que ces personnes désœuvrées et vulnérables ne rejoignent pas les milices quand elles ont la possibilité de cultiver une terre.» Au total, le réseau CVECA-ON Ségou finance «quelque 55 000 personnes, des hommes, des femmes, des jeunes», se félicite le directeur du réseau.
Cependant, le changement climatique, «bien réel», qui augmente les périodes de sécheresse et accroît les phénomènes météorologiques extrêmes, pèse sur le secteur agricole. Le réseau CVECA-ON Ségou commence donc en parallèle à développer des stratégies pour y faire face. «Nous encourageons les producteurs à utiliser des semences mieux adaptées et étudions différents aspects de l’agrotechnologie pour former des producteurs dans ce sens», signale Ali Cisse.
Un bémol toutefois : la microfinance ne peut constituer la solution unique pour sortir de la précarité la population. Son impact reste limité, c’est toute l’économie qu’il faudrait transformer. Comme le rappelle Gisèle Yitamben, la présidente de l’Association pour le soutien et l’appui à la femme entrepreneur (Asafe), dans une publication à retrouver sur le portail cairn.info : la microfinance contribue en effet «certainement à réduire la pauvreté par la création de petites activités qui permettent de garder la tête au-dessus de l’eau et de subsister. Mais elle reste limitée et il faut imaginer des solutions qui permettent de sortir de l’auto-emploi et de la subsistance, pour créer des entreprises générant des plus-values substantielles, des emplois de qualité, éléments transformateurs de l’économie.»
Elle précise : «Beaucoup de personnes, après avoir évolué dans la microfinance, aimeraient aller vers d’autres cieux. Mais il n’existe pas de structures intermédiaires qui puissent soutenir le développement de ces entreprises jusqu’à la prise du relais par les banques. Elles en sont donc réduites à plafonner.»