L’homme d’affaires français Alexandre Djouhri, au cœur des soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, a été interpellé dimanche à Londres à la demande des juges qui envisagent des poursuites contre lui.
Cet intermédiaire financier, familier des réseaux de la droite française et des affaires politico-judiciaires, a été arrêté à l’aéroport d’Heathrow en vertu d’un mandat d’arrêt pour « fraude » et « blanchiment d’argent », a indiqué lundi la police londonienne dans un communiqué, confirmant une information de L’Obs.
A l’issue d’une audience lundi devant un tribunal londonien, il a été placé en garde à vue et comparaîtra à nouveau mercredi afin de fixer une date d’audience d’extradition vers la France où il risque une mise en examen dans l’enquête sur cette affaire libyenne qui menace l’ancien président français.
Cette audience pourrait n’intervenir qu’à la mi-février, a indiqué un porte-parole du tribunal. Agé de 58 ans, résident suisse, Alexandre Djouhri fait figure de personnage-clé de l’enquête ouverte à Paris depuis 2013 pour vérifier les accusations lancées deux ans plus tôt par l’ancien président libyen Mouammar Kadhafi et son fils Seif el-Islam, selon lesquelles Nicolas Sarkozy avait bénéficié de leurs fonds pour sa campagne de 2007.
Ce dernier a toujours fermement rejeté ces accusations et son entourage récuse que Alexandre Djouhri figure parmi les proches de l’ancien chef d’État.
L’homme d’affaires, qui promettait aux juges d’intervenir en faveur de Nicolas Sarkozy et dont le nom apparaît dans une transaction suspecte avec la Libye ainsi que dans l’exfiltration hors de France d’un personnage-clé du régime Kadhafi, s’est jusqu’à présent soustrait aux demandes de la justice et n’a ainsi pas répondu à la convocation des enquêteurs en septembre 2016.
A cette époque, après trois ans d’investigations, les juges d’instruction du pôle financier de Paris ne disposaient pas de preuves irréfutables d’un financement libyen, mais d’une série de témoignages et d’éléments troublants. Parmi eux, la vente suspecte en 2009 d’une villa située à Mougins (Alpes-Maritimes), pour environ 10 millions d’euros, à un fonds libyen géré par Bachir Saleh, l’ancien grand argentier du régime de Kadhafi, évincé du pouvoir et tué en 2011.
Or les juges soupçonnent Alexandre Djouhri d’être le véritable propriétaire et vendeur de ce bien et de s’être entendu avec Bachir Saleh pour fixer un prix d’achat « très surévalué », selon les éléments de l’enquête. Le parquet national financier avait alors étendu ses investigations à de possibles détournements de fonds commis à la faveur de cette vente, en lien avec l’affaire.
Les magistrats pensent aussi qu’Alexandre Djouhri a aidé Bachir Saleh à quitter la France, en jet privé via le Niger au printemps 2012, alors qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt dans son pays. Une exfiltration qui lui a permis de rejoindre ensuite l’Afrique du Sud.
Longtemps réputé proche du clan chiraquien, et notamment de l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, Alexandre Djouhri s’est, au fil des années, rapproché des réseaux de Nicolas Sarkozy.
Dans une série de conversations interceptées par les enquêteurs, l’homme d’affaires avait promis de faire parvenir aux juges une lettre dans laquelle Bachir Saleh démentirait un financement de la campagne de Nicolas Sarkozy.
En mars 2014, le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, Michel Gaudin, s’enquerrait, « à la demande du président », de la démarche dont on ignore encore aujourd’hui si elle a abouti. D’après ces écoutes,Alexandre Djouhri laissait entendre qu’une telle démarche ne serait peut-être pas « opportun(e) » en raison des élections municipales qui se tenaient alors en France, tout en ajoutant: « Moi, je m’en fous, posez-lui la question ».
Dans un coup de fil ultérieur, le même jour, Michel Gaudin précise: « J’ai eu le président, donc… pour lui pas de problème de calendrier, le plus tôt sera le mieux, hein? » Selon le Canard enchaîné, l’homme d’affaires d’origine algérienne était présent à une réception à l’ambassade de France à Alger en présence du président Emmanuel Macron, le 6 décembre.
Le Quotidien/ AFP