Repaire de jihadistes» aux yeux du monde, la commune bruxelloise de Molenbeek a pourtant lancé des initiatives pour prévenir la radicalisation de jeunes en perdition susceptibles de suivre l’itinéraire meurtrier des frères Abdeslam, impliqués dans les attentats de Paris.
Sarah Turine est l’élue en charge de la jeunesse à Molenbeek. Islamologue de formation, elle est en première ligne de la bataille menée pour empêcher les départs en Syrie afin de rejoindre le groupe Etat islamique (EI).
La première étape consiste généralement à dépêcher un sociologue et un psychologue pour tenter de renouer les liens entre un jeune déclassé sur le point de basculer et sa famille. La suivante est de mettre en lumière les graves conséquences du choix qu’il s’apprête à faire.
«Nous devons œuvrer (à) essayer de diminuer cette colère chez les jeunes», explique Mme Turine.
«Nous devons leur dire qu’ils ont une place ici, qu’ils ne sont pas des citoyens de seconde zone, et décrédibiliser le discours» des recruteurs, poursuit la jeune élue écologiste, qui supervise un programme de prévention de la radicalisation.
Dans une Belgique qui compte en Europe le nombre le plus élevé de «combattants étrangers» par rapport à sa population, il n’est pas aisé pour les familles de savoir vers qui se tourner, en particulier à Molenbeek, considéré comme un «terreau fertile» de radicalisation.
La poudrière couve depuis des années: chômage élevé, drogues, petite délinquance et ghettoïsation à deux pas du centre-ville, sans omettre, de l’aveu général, un certain laxisme des politiques et des forces de l’ordre.
Ces critiques font grincer des dents le Premier ministre Charles Michel: «Nous n’avons pas en Belgique des endroits où la police n’ose pas circuler dans certaines banlieues, comme c’est le cas en France parce que les voitures sont caillassées», s’est-il insurgé dimanche à la radio-télévision publique RTBF.
Cibler les plus vulnérables
Bilal, musulman de 21 ans, sait à quel point les recruteurs de l’EI peuvent être persuasifs. Une douzaine de ses amis, garçons et filles, ont rejoint le jihad en Syrie.
«Les recruteurs ciblent les faibles», témoigne-t-il. Ils ont joué avec le sentiment de culpabilité de ses amis et «leurs délires dans les boîtes de nuit», leurs relations avec le sexe opposé et «leurs antécédents avec la loi», un mode de vie déviant au sein d’une communauté appauvrie et conservatrice.
Les recruteurs attisent aussi leur sentiment d’injustice face aux interventions occidentales au Moyen-Orient, relève Bilal, qui a résisté aux sirènes jihadistes. Jamal Habbachich, qui préside un conseil de 22 mosquées à Molenbeek, rapporte que les recruteurs abordent les jeunes marginalisés par le biais de tracts qu’ils distribuent dans la rue et sur les marchés.
«L’Etat islamique a une stratégie diabolique, satanique, pour attirer les gens à l’aide de sa propagande sur la pauvreté et l’injustice. Puis quand ils arrivent là-bas (en Syrie), il passe à la phase de la guerre», avance-t-il.
Certes, les mosquées collaborent avec Sarah Turine pour prévenir la radicalisation des jeunes. «L’imam met les jeunes en garde: +Attention, si vous prenez ce chemin-là vous aller détruire votre vie+», explique M. Habbachich dans son bureau de la mosquée Attadamoun. Mais les moyens sont limités pour toucher les plus vulnérables.
Rétablir les liens familiaux et communautaires que les jeunes ont rompus, en travaillant avec les écoles et les travailleurs sociaux, c’est la priorité d’Olivier Vanderhaeghen, l’administrateur du programme de prévention.
«D’abord, le jeune va rompre avec son réseau, ses amis, l’école, avec son club de sport par exemple», énumère M. Vanderhaeghen. «Dans la deuxième phase, il va rompre avec l’espace public. Il ne va plus fréquenter les mêmes endroits, il va changer de quartier. Enfin, il va rompre avec sa famille et ses proches», phase finale du processus d’isolement.
Selon Sarah Turine, le programme a permis d’«aider des dizaines et des dizaines» de jeunes musulmans. Mais pour Jamal Habbachich, il reste beaucoup à faire pour former les jeunes, les aider à trouver un emploi et leur donner une échappatoire pour s’exprimer.
«Personne ne les écoute, personne ne leur parle», déplore-t-il.
AFP/M.R.