Plusieurs domaines sur la Moselle ont terminé leurs vendanges en fin de semaine. C’est le cas des caves Schlink, à Machtum. Jean-Marc Schlink revient sur une année marquée par un manque d’eau évidemment… sauf sur la fin.
Vous avez récolté votre dernière parcelle ce jeudi. C’est finalement assez tôt, non ?
Jean-Marc Schlink : C’est vrai. Nous avions commencé le 9 septembre donc les vendanges n’ont duré que trois semaines. C’est trois à quatre jours de moins que les années précédentes.
Est-ce que ce sont les pluies régulières qui durent depuis quelques jours et qui ne devraient pas s’arrêter de sitôt qui vous ont convaincu de rentrer tous vos raisins ?
Ça a joué, oui. Avec la pluie, le risque de voir apparaître la pourriture augmente. J’ai remarqué quelques points dans les rieslings, par-ci, par-là, et je n’ai pas voulu prendre le risque de la voir se développer davantage. La pourriture, quand elle part, cela peut aller très vite. Mais il n’y avait pas de raisons d’attendre davantage puisque les raisins étaient déjà mûrs. La semaine dernière, j’ai vendangé une première fois sur la Koeppchen pour un client allemand qui veut une cuvée de Kabinett (NDLR : un vin plutôt sec, selon la classification allemande) et le taux de sucre était de 85 Oechsle. Une semaine plus tard, quand j’ai vendangé pour moi, il y a 87 Oechsle et un peu moins d’acidité. Ça n’a pas beaucoup bougé en une semaine.
De manière générale, comment jugez-vous la qualité de la récolte ?
Les raisins sont assez similaires à ceux de 2018, avec un peu plus d’acidité toutefois. Ce qui n’est pas plus mal ! Ceci-dit, j’ai récolté des pinots noirs encore un peu plus sucrés avec 110 Oechsle. J’ai également dû vendanger les pinots gris plus tôt que prévu parce que les taux de sucre ont grimpé en flèche début septembre, lors de la semaine où il faisait plus de 30°. Je ne voulais pas me retrouver avec des vins aussi riches que ceux de 2018, qui ne correspondent pas vraiment à l’image des vins luxembourgeois.
Vous avez bouleversé les habitudes pour d’autres cépages ?
Oh oui ! Par exemple, j’ai vendangé l’elbling et le rivaner presqu’en dernier, avec le riesling. Normalement, on commence par le rivaner, pas par les cépages nobles ! Bon, j’ai ramassé un peu de rivaner pour le Fiederwäissen mais l’essentiel est rentré bien plus tard en cave.
Comment expliquez-vous cette inversion ?
J’ai l’impression qu’ils ont mieux résisté à la sècheresse. Il faut dire qu’ils ont été davantage à l’abri du soleil puisque ce sont les cépages les plus nobles qui se trouvent sur les coteaux les mieux exposés. Les cépages mieux cotés poussent sur les meilleurs lieux-dits, ceux qui prennent le plus de soleil. Ils ont donc mûri plus vite.
Il restait beaucoup de matière dans les pressoirs
Vous avez donc récolté les raisins pour le crémant très tôt…
Oui, parce que les Oechsle étaient déjà élevés. Du coup, j’ai décidé de bloquer les fermentations un peu plus tôt, dès que les vins ont atteint 11,5° d’alcool. Les sucres résiduels (NDLR : qui n’ont pas été transformés en alcool mais qui restent dans le vin) permettront de lancer la deuxième fermentation (NDLR : dans la bouteille, celle qui créé l’effervescence). Ces nouvelles données, auxquelles nous ne sommes pas habitués, nous forcent à réfléchir !
La sécheresse a-t-elle un impact sur la quantité de vin qui sera produite ?
Selon les cépages, j’ai récolté de 30 à 40% de moins que la moyenne. C’est quand même beaucoup… Les raisins étaient plus petits que d’habitude et ils n’avaient pas beaucoup de jus. D’ailleurs, j’ai remarqué qu’il restait beaucoup de matière dans les pressoirs.
Vos plus jeunes vignes ont beaucoup souffert ?
Les vieilles vignes ont de longues racines qui peuvent leur permettre d’aller puiser l’eau loin dans le sol, elles supportent donc mieux le manque d’eau. Mais effectivement, c’est plus dur pour les jeunes. Entre le mois de mars et la fin de l’année, il n’y a pratiquement pas eu de pluie… J’ai planté de nouveaux ceps il y a deux ans sur l’Ongkâf, à Machtum, un lieu-dit justement bien exposé. Eh bien il a fallu installer des tuyaux pour les arroser dès le début du mois d’août. Ça leur a fait beaucoup de bien, ceci-dit, c’était la bonne décision.
Maintenant, le travail a lieu dans la cave. Il faut s’occuper du bon déroulement des fermentations.
C’est ça. Celles de trois vins destinés aux crémants sont déjà terminées : chardonnay, auxerrois et pinot noir. Les autres suivent leurs cours. Il faut être vigilant, bien contrôler les températures et l’évolution du processus pour que tout se passe bien. Je ne suis pas pressé : autant il est préférable qu’elles soient rapides pour le crémant, autant des fermentations plus longues sont intéressantes pour les vins tranquilles. De toute façon, elles seront sans doute un peu plus longues cette année puisque la température des raisins était élevée lors de leur arrivée en cave. J’ai aussi augmenté le nombre de cuvées en fermentation spontanée (NDLR : sans apport de levures de l’extérieur, les fermentations se font avec celles qui sont naturellement sur les raisins et dans l’air). Cela représente un tiers du volume, je n’en avais jamais fait autant. C’est un peu plus risqué mais on respecte encore plus le terroir quand on fait comme ça.
Ces vendanges se sont réalisées sous le stress du Covid…
Finalement, ça n’a pas été un gros problème. Les vendangeurs ont été testé avant, nous avons bien fait attention et il n’y a pas eu de soucis. Je n’ai pas à me plaindre !
Entretien avec Erwan Nonet