L’année a été particulièrement compliquée pour les vignerons. Et malgré cette nature capricieuse, les vignerons bios ne s’en sortent pas plus mal que les autres. Yves Sunnen (Domaine Sunnen-Hoffmann à Remerschen) et Guy Krier (Domaine Krier-Welbes à Ellange-Gare) avouent avoir dû énormément travailler pour limiter les dégâts. Mais, au final, ils n’auront pas moins de raisins que les autres.
En Bourgogne, l’AFP nous apprend que plusieurs vignerons bios ont été contraints, la mort dans l’âme, d’avoir recours à des produits phytosanitaires synthétiques pour sauver les raisins qu’il leur restait. Et donc de renoncer pour trois ans au moins à leur certification.
«Au-delà de mes convictions, j’ai pris une décision de chef d’entreprise avec une exploitation de 20 hectares à faire tourner, six salaires à payer, les emprunts, les fermages, je n’avais pas le droit de risquer de perdre le peu de la récolte qui restait à sauver. Cela a été une décision très douloureuse, guidée par des contraintes économiques. C’est la décision la plus difficile que j’ai eu à prendre», soutient Vincent Dureuil-Janthial, vigneron à Rully (Saône-et-Loire).
Au Luxembourg, 2016 n’a pas fait de cadeau aux producteurs de vin non plus, mais la situation reste moins catastrophique. «On a perdu pas mal, regrette Guy Krier, mais on a sauvé les meubles.» C’est également le cas chez Yves Sunnen : «Nous avons limité les dégâts».
Ce qui a sauvé les vignerons bios, c’est leur ardeur à la tâche. Contraints et forcés de porter un regard acéré sur chaque parcelle puisqu’ils ne disposent que de produits préventifs et pas de remèdes aux maladies, ils ont passé énormément de temps entre les rangs. «Le mildiou nous a causé énormément de problèmes », relève Yves Sunnen. « Il nous a forcés à sortir souvent pour traiter les vignes au cuivre, le seul produit autorisé en bio pour contrer cette maladie. Au moment où la pression était la plus forte, nous passions dans les vignes tous les 3 ou 4 jours.»
Souci supplémentaire : avec les sols gorgés d’eau à cause des ondées incessantes, il n’était pas question de sortir le tracteur dès que les pentes s’élevaient. «Il a fallu traiter jusqu’à 7 hectares à la main… souligne-t-il. Or à quatre personnes, nous pouvons nous occuper de quatre hectares par journée.»
«Le travail était primordial»
Par rapport à l’année dernière, exceptionnellement clémente, Yves Sunnen a utilisé deux fois plus de cuivre. Mais avec quatre kilos par hectare, il reste toutefois loin de la limite autorisée (six kilos). «Ce n’est de toute façon pas la quantité qui importe, mais le timing», assure-t-il. Grâce à l’Institut viti-vinicole et aux vignerons de Rhénanie-Palatinat avec qui il est lié, il a pu obtenir les informations pour faire au mieux.
Cette situation tout à fait extraordinaire – «même les anciens n’ont jamais vu ça» – a imposé des choix cornéliens. La pression était telle qu’à quelques heures près, une parcelle pouvait être perdue. «On ne peut pas traiter toutes nos vignes au même moment… Les miennes vont de Bech-Kleinmacher à Stadtbredimus, je ne peux pas y être simultanément, sourit Guy Krier. Le coup dur, c’est la panne qui immobilise le matériel. Ça m’est arrivé sur une vigne de riesling à Remerschen. Je n’ai pas pu y aller à temps et j’ai tout perdu.»
Cette attention de tous les instants a globalement permis aux vignerons bios de plutôt bien résister au mildiou. Finalement, et c’est étonnant, Yves Sunnen assure que ses vignes ont davantage souffert du gel! «J’ai beaucoup de parcelles du côté de Wintrange et la région a été très touchée par les gelées, explique-t-il. Mais ce qui était étonnant, c’est que certaines ont pris le gel pour la première fois.» Le vigneron estime que cela lui a coûté au moins 20 % de sa récolte.
Aujourd’hui, le plus dur est sans doute passé, «bien que la grêle puisse encore tomber…», craint Yves Sunnen. Et si dans les vignes, les raisins sont plus rares que d’habitude, ceux qui restent sont beaux, ce qui augure un millésime rare mais intéressant. «Je pense que je vendangerai mon pinot noir précoce d’ici une semaine à dix jours, estime le vigneron. Le reste, vraisemblablement, début octobre.» Guy Krier avance les mêmes dates, «de toute façon, le rivaner, qui est le cépage le plus précoce, a tellement souffert qu’il n’y en a presque pas…».
Les deux hommes, fatigués par une année sans repos qui sera forcément – ils le savent – peu rentable financièrement, sont toutefois fiers de voir que leurs vignes ne sont pas moins belles que celles des meilleurs vignerons conventionnels. «Ce qui est certain, c’est que ceux qui n’ont compté que sur l’hélicoptère ont fait une grave erreur. Pour sauver ce qui pouvait l’être, il fallait être dans les vignes. Cette année, le travail était primordial», martèle Yves Sunnen.
«Le temps passe vite, rigole Guy Krier. Il n’y a plus qu’une année avant les prochaines vendanges! Moi, je suis un optimiste et malgré les difficultés de cette année, je reste convaincu que j’ai un beau métier et je le pratique avec amour et passion.» Ses vignes le lui rendent bien, il n’y a qu’à déguster son pinot gris Bech-Kleinmacher Naumberg Charta Privatwënzer pour s’en convaincre.
Erwan Nonet