Quelques mois à peine après avoir ouvert son restaurant, le chef Ryodo Kajiwara a été consacré chef de l’année 2022 par le Gault&Millau, l’un des guides de référence en matière de gastronomie. Un prix qu’il ne s’attendait pas à recevoir si tôt.
C’est dans le décor sobre et élégant de son restaurant, le Ryodo, qui associe en toute simplicité les styles japonais et luxembourgeois, entre portes coulissantes et tables en érable, que nous reçoit le chef Ryodo Kajiwara. À 38 ans, il vient d’être consacré chef de l’année 2022 par le guide Gault&Millau, une référence en matière de gastronomie.
Une récompense que ce Japonais venu s’installer au Luxembourg avec son épouse il y a une dizaine d’années ne s’attendait pas à recevoir aussi rapidement. Son petit bijou, situé rue Raymond-Poincaré à Luxembourg, n’a en effet ouvert ses portes que depuis le 4 mars 2020, soit 12 jours à peine avant le confinement!
«Nous avons acheté le fonds de commerce en juin 2019, bien avant la crise sanitaire. Il avait fallu tout refaire dans cet ancien restaurant chinois, y compris l’électricité. Les travaux ont pris plus de temps que prévu et se sont achevés juste avant le confinement…»
Un hasard malheureux qui a fait passer Ryodo Kajiwara par «toutes les émotions négatives» : peur, tristesse, dépit… «La motivation est retombée d’un coup. On a fait quelques ventes à emporter pendant cette période, de manière ponctuelle, lorsqu’on arrivait à avoir une bonne qualité de poisson, car c’était difficile de s’approvisionner à ce moment-là.» Un «take away» qui a toutefois marqué les esprits, le Gault&Millau employant même le terme d’«anthologie» à son propos!
Lorsqu’il a pu rouvrir, à la mi-mai (avant de devoir à nouveau fermer en raison de la crise sanitaire), le Ryodo a tout de suite attiré les foules, appuyé par les chefs du Mosconi, Ilario Mosconi, et du Clairefontaine, Arnaud Magnier, chez lesquels Ryodo Kajiwara a travaillé, qui l’ont d’abord recommandé à leurs propres clients. Le bouche-à-oreille a fait le reste.
Des produits et un service haut de gamme
Il faut dire que le Ryodo n’est pas un restaurant japonais commun. Du fait de sa qualité, d’une part, au niveau tant de la cuisine que du service. Ici, c’est du gastronomique. Pas moins de 12 personnes travaillent dans ce petit restaurant qui ne sert que 24 couverts : sept cuisiniers et cinq personnes en salle. «Chaque plat représente du travail et a un lien avec la culture. On ne commande jamais des produits déjà coupés, cuits ou surgelés. Même le poisson n’est jamais commandé en filet : on l’écaille et on le vide nous-mêmes, on décoquille les Saint-Jacques, etc.», indique le chef.
La plupart de ses produits proviennent de La Provençale. Les produits japonais, toujours du très haut de gamme, il les commande à l’étranger : en Allemagne, à Paris ou directement au Japon. Pour les légumes frais et bios, il se fournit chez Les paniers de Sandrine, en attendant de pouvoir cultiver son propre potager.
Car la durabilité est une question qui le préoccupe, lui qui s’intéresse de plus en plus aux produits du terroir. Il essaie notamment, autant que faire se peut, de limiter son impact sur la planète tout en continuant à veiller à la qualité des produits qu’il sert, comme avec le thon rouge par exemple, une espèce protégée. «La taille est très importante : s’il n’est pas assez gras, il est caoutchouteux. Je fais donc attention à ne prendre que des thons de plus de 100 kilos. Nous utilisons entre 15 et 20 kilos de thon par semaine. On essaie de limiter la quantité pour ne pas gaspiller et parce qu’il y a des quotas de pêche à ne pas dépasser. Je fais en sorte d’utiliser le plus possible des poissons qui ne sont pas en danger. C’est d’ailleurs pour cela qu’on ne peut pas proposer certains poissons toute l’année», explique-t-il.
Des desserts européens revisités à la sauce japonaise
De là à cuisiner des poissons du Grand-Duché… Pourquoi pas? Mais il n’y a pas suffisamment de réserve et son expérience avec des carpes luxembourgeoises ne s’est pas révélée très concluante! «Elles ne vivent pas assez en profondeur et le flux n’est pas assez puissant pour drainer l’eau. Du coup, comme elles sont trop proches de la vase, il y avait un goût de sable!», témoigne le fin gourmet.
En attendant, il trouve d’autres façons de mélanger dans ses mets les cultures japonaise et occidentale. Son bœuf wagyu, très persillé, se décline par exemple dans du chou servi dans un consommé à la truffe. Idem pour les desserts, que Ryodo Kajiwara, qui a aussi une formation de pâtissier, confectionne lui-même : les desserts européens sont revisités à la sauce japonaise, tel son gâteau opéra au thé matcha, sa panna cotta au yuzu ou son baba au rhum dans lequel la chantilly a été remplacée par un sucre noir du Japon.
«Très fier» de son nouveau titre, le chef Ryodo Kajiwara compte désormais prendre le temps de le savourer avant de se lancer dans de nouveaux projets ou de nouvelles compétitions. D’autant que depuis sa consécration, les réservations ont explosé : «On est complets tous les soirs jusqu’au mois de janvier et tous les week-ends jusqu’en février!», se réjouit-il, avant d’ajouter : «Le restaurant est assez petit, mais ce n’est pas mon genre de faire grand. Pour le moment, je veux juste continuer à conserver la qualité des produits et le niveau de service, et gérer cet afflux de clientèle.»
Tatiana Salvan