Certains vignerons disposant de terrasses ont ouvert dès mercredi. Mais ils sont nombreux à éprouver un certain stress à l’idée de recevoir à nouveau dans leurs bars à vin alors que la crise sanitaire n’est pas terminée.
Dans leur grande majorité, les restaurateurs et les cafetiers n’en pouvaient plus d’attendre l’autorisation d’enfin pouvoir recevoir leurs hôtes. Logique, leur activité qui est aussi un métier de passion, a été complètement bloquée pendant dix semaines. Ouvrir à nouveau les portes même sans pouvoir serrer la main ou claquer la bise aux habitués est un premier pas sur le chemin du retour à la normalité.
Pour les vignerons, dont beaucoup disposent d’une belle salle de dégustation, c’est un peu différent. Le service au verre est une activité annexe qui se marie parfaitement avec leur métier premier, certes, mais qui n’est pas complètement prioritaire. Et, à la différence du secteur de l’Horeca, les vignerons n’ont jamais cessé leur activité. Ils ont même été franchement occupés entre le travail des sols pour accompagner la croissance de la vigne et, aussi, la multiplication des tournées de livraison car les commandes aux particuliers ont souvent explosé pendant le confinement. À leur plus grand plaisir, évidemment, puisque cette dynamique a pu atténuer en partie les lourdes pertes conséquentes à la fermeture des cafés et restaurants.
À l’annonce, lundi soir, de la possibilité d’ouvrir les terrasses mercredi et les bars à vin vendredi, les sentiments ont donc été souvent mitigés. Entre bonheur sincère de renouer un vrai contact avec la clientèle et crainte légitime parce que malgré les bilans positifs de ces derniers jours, tous savent que le Covid-19 traîne encore ses guêtres par-ci par-là.
Le directeur de Vinsmoselle, Patrick Berg, était particulièrement optimiste : «Tout le monde est prêt, cela fait du bien de s’y remettre !», lançait-il ravi dès mardi. Il faut dire que les deux Escales (bars à vin où l’on peut également grignoter quelques plats) gérées par la coopérative dans ses caves de Remerschen et Wormeldange sont des lieux toujours très fréquentés, pourvoyeurs de ressources non négligeables pour l’institution mosellane.
«Quelques tables dans le jardin»
Jean-Marie Vesque (domaine Cep d’or, à Hëttermillen) reconnaissait lui aussi une première satisfaction : «Savoir que l’on pourra être ouvert pour le week-end de la Pentecôte est une bonne nouvelle, même si nous savons bien que la fréquentation n’aura rien à voir avec celle des années précédentes.» Si, au départ, il n’imaginait pas ouvrir sa belle terrasse dès mercredi, finalement, le beau temps lui a fait changer d’avis. Espacer les tables sur ce vaste espace n’était, il est vrai, absolument pas un problème.
Pas très loin, au domaine Laurent & Rita Kox (Remich), on ne fera pas de folie pour célébrer la relance. «Nous avons décidé d’ouvrir quelques tables dans le jardin pour ce week-end, uniquement sur réservation», avance la jeune vigneronne Corinne Kox. Dans la maison familiale, la reprise de l’activité évènementielle se fera donc dans la douceur. «Nous n’allons pas en faire trop et nous ne planifions pas grand-chose, assure-t-elle. Non seulement parce que nous voulons d’abord voir comment la situation sanitaire évolue mais aussi pour ne pas concurrencer les cafés et les restaurants qui n’ont pas pu travailler du tout alors que nous, nous avons pu livrer nos clients.»
Depuis sa belle cave d’Ahn, Jeff Konsbrück (Winery Jeff Konsbrück) a déjà installé sa terrasse qui offre une magnifique vue sur le terroir du Palmberg, un des fleurons du Luxembourg viticole. S’il n’a pas perdu de temps pour se mettre en position d’accueillir ses clients, il n’est toutefois pas complètement rassuré. «Je me demande quand même si ce n’est pas un peu tôt… Je comprends que la situation devenait critique pour les restaurants et les cafés, des entreprises qui ne vivent que de ça. Mais nous, nous aurions peut-être pu attendre un peu plus longtemps. Au moins deux semaines après la reprise des écoles, par exemple. Là, il n’y en a qu’une et j’espère que ce n’est pas trop tôt…»
Henri Ruppert, qui dispose sans conteste de la cave la plus spectaculaire du pays (domaine Henri Ruppert, à Schengen), n’ouvrira même pas ce week-end mais seulement à partir du mercredi 3 juin. «Je ne veux surtout pas ouvrir en catastrophe, je ne suis pas pressé…, souffle-t-il. Si quelqu’un vient avant, je le servirai, mais je veux prendre le temps de bien faire les choses.» Il a notamment décidé de n’ouvrir que la salle de réception, à l’étage, et pas l’habituelle Wäistuff. «En bas, la place est tellement limitée qu’il serait impossible de rentabiliser les frais de personnel en respectant les distances de sécurité entre les tables, explique-t-il. J’embauche une personne à temps plein et deux autres à 80% uniquement pour la Wäistuff, la seule option est donc d’installer les gens qui viendront en haut, où sont d’habitude organisés les mariages et les anniversaires.»
«Je ne veux pas faire la police…»
Mais même en prenant toutes les précautions et en adaptant au mieux ses infrastructures, Henri Ruppert n’a pas franchement le cœur léger… «Honnêtement, je n’ai pas tellement envie d’ouvrir, glisse-t-il. La situation sanitaire ne m’inspire pas. Il est indispensable que les gens qui viendront se comportent bien, qu’ils respectent leurs voisins en appliquant systématiquement les consignes. Je crains qu’il y ait des accrochages entre les clients raisonnables et d’autres qui le seraient moins et moi, je ne veux pas faire la police…»
Il assure que les choses sont claires : soit tout se passe bien, soit il remballe tout. Auquel cas il n’est pas certain de pouvoir garder tout son personnel. «La Wäistuff est une petite partie de mon exploitation et elle ne doit pas mettre en danger tout le reste, car la production de vins et de crémants est évidemment ce qu’il y a de plus important. J’emploie douze personnes en tout et la Wäistuff ne doit pas les mettre en danger.»
Le grand défi est là : dans les bars à vin comme ailleurs, le déconfinement ne sera réussi que si l’on se retrouve entre citoyens raisonnables. Ce qui n’empêche évidemment de franches rigolades un bon verre de vin à la main !
De notre collaborateur Erwan Nonet