Après deux ans de bons et loyaux services, Sandrine Gashonga s’est retirée de la présidence de l’association féministe et antiraciste Lëtz Rise Up. Elle y reste toutefois active et dispense une nouvelle formation à l’antiracisme.
Pourquoi avoir quitté la présidence de Lëtz Rise Up, l’association que vous aviez fondée ?
Sandrine Gashonga : J’ai tout simplement pensé que c’était le moment. Je me suis donnée à 100 % pendant deux ans. À l’origine, je suis travailleuse indépendante – je donne des formations de compétences interculturelles ainsi que des cours de sophrologie – mais j’avais tout laissé de côté pour me concentrer sur l’association. Elle est désormais bien constituée, il y a des membres actifs, je peux lâcher du lest!
Je dois aussi avouer que le torrent de haine que j’ai reçu après le décès de Zuka m’a également poussée à me retirer un peu de la vie publique (NDLR : l’homme avait été abattu par la police après avoir menacé des officiers avec un couteau, en août dernier à Ettelbruck). Je trouve ça incroyable que des personnes se soient tant acharnées alors que j’apportais simplement mon soutien à la famille.
J’ai reçu des dizaines de messages racistes, très agressifs. Je n’ai pas eu peur, mais j’ai ressenti beaucoup de tristesse, parce que je me suis dit que si une personne pense ainsi, d’autres doivent penser de la même façon… Aujourd’hui j’ai tourné la page, mais il faut être prudent et éviter ce genre d’épisode. Peut-être que Lëtz Rise Up a besoin d’une personne plus modérée. Je faisais vraiment les choses avec le cœur.
C’est Vanessa Perez qui vous succède à la tête de Lëtz Rise Up.
Je pense que Vanessa sera la meilleure pour présider l’association. Elle a rejoint Lëtz Rise Up en juin 2020 et c’est l’une de nos membres les plus actives. Elle est américaine et est engagée dans la lutte contre le racisme depuis longtemps, même aux États-Unis.
Pour moi, c’était la personne idéale pour reprendre la présidence, car elle a toutes les qualités pour cela : la diplomatie, les connaissances, un très bon relationnel. Le fait qu’elle soit américaine est aussi un atout, car elle a plus de contacts avec la communauté anglophone du Luxembourg, très importante.
Quel bilan tirez-vous de ces deux dernières années à la présidence de Lëtz Rise Up ?
Je pense qu’il y a eu des avancées : il y a eu des débats sur le racisme à la Chambre des députés et une étude sur le racisme est actuellement en cours qui, je pense, sera la première de cette envergure au Luxembourg.
Les associations de personnes racisées, comme Lëtz Rise Up ou Finkapé, se sont dynamisées. Désormais, on parle du racisme au Luxembourg, ce qui n’était pas le cas avant. Concernant la mise en place de mesures concrètes, il faut attendre les résultats de cette étude. On verra alors si ça bouge ou non.
Quels sont vos projets désormais ?
Je me concentre sur la formation « Racisme, comprendre pour agir » que je donne depuis septembre, toujours dans le cadre de Lëtz Rise Up, dont je continue de faire partie. C’est une formation qui va chercher les sources du racisme et qui ne traite pas seulement des agressions ou microagressions et du discours de haine. On y parle de l’origine de l’esclavage et de la colonisation, et pourquoi cela a un impact sur la vie des personnes racisées aujourd’hui.
Par exemple, les pédopsychiatres afro-américains Kenneth et Mamie Clark ont élaboré un test à la fin des années 40 consistant à proposer à des enfants noirs deux poupées, l’une blanche, l’autre noire, et à leur demander laquelle est la plus jolie, la plus moche ou la plus méchante. Tous les enfants attribuaient les qualités positives à la poupée blanche et les attributs négatifs à la poupée noire, tout en s’identifiant à cette dernière ! Cette expérience a été reproduite à plusieurs reprises jusqu’à aujourd’hui et donne toujours les mêmes résultats !
Connaître l’histoire permet de mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui, le racisme structurel. De plus, quand on connaît cette histoire, on a moins tendance à faire des microagressions, comme demander aux personnes racisées d’où elles viennent quand on les rencontre. La seule présence des personnes racisées dans les organisations ne suffit pas, il faut un environnement qui favorise leur épanouissement et non pas qu’elles subissent tout le temps des microagressions.
Quelle est la part de responsabilité du Luxembourg, qui n’a pas officiellement été un pays colonisateur, dans l’instauration d’un racisme structurel ?
C’est un sujet dont on parle dans la formation, notamment en donnant des chiffres, ceux de l’étude « Being Black in Europe », publiée en 2018, et qui a montré que le Luxembourg était un très mauvais élève en matière de lutte contre les discriminations. Notre visite guidée au sein de la capitale témoigne de la part active du pays dans la colonisation. L’ingénieur de la première ligne de chemin de fer au Congo, laquelle a fait plus de 5 000 morts, est un Luxembourgeois encensé à Bascharage, sa ville d’origine. Il y a eu des zoos humains également, par exemple.
À qui s’adresse la formation « Racisme, comprendre pour agir » ?
Elle s’adresse aux professionnels, qu’ils soient du secteur public ou privé, au personnel des ONG. Si des écoles sont intéressées, nous pouvons aussi envisager de l’adapter au milieu scolaire. Pour l’instant, elle est en français, mais nous sommes en train de la traduire en anglais pour pouvoir la proposer aussi dans cette langue. Elle dure six heures et s’étend sur deux matinées, mais il y a tellement à dire en matière de racisme que j’ai ressenti le besoin de la prolonger. J’envisage de l’étendre sur neuf ou douze heures.
Suivre la formation permet de ne plus faire autant de microagressions. 90 % de ceux qui l’ont suivie affirment avoir appris des choses qu’ils ne connaissaient pas. Le seul fait de découvrir certains aspects qu’ils ignoraient jusque-là permet de prendre conscience de l’ampleur du problème.
On donne aussi des recommandations, comme par exemple faire régulièrement des dons à une banque alimentaire – ce qui peut déjà avoir un impact très bénéfique – car il y a une combinaison de facteurs qui peuvent altérer la santé des personnes racisées, notamment la pauvreté, qui les empêche de pouvoir s’alimenter correctement.
Avez-vous constaté une véritable volonté de mieux agir et de lutter contre le racisme ?
Oui, tout à fait. Il y a eu un élan parti des années 2000 de la part de l’UE, à travers deux directives (NDLR : directives [2000/43/CE et 2000/78/CE) qui combattent la discrimination au motif de la race et de l’origine ethnique et créent un cadre en faveur de l’égalité dans le travail.
Beaucoup d’entreprises s’appuient sur ces textes, qui ont été transposés au niveau national, pour former leurs employés. Avec Vanessa Perez, nous faisons des interventions d’une à deux heures dans les entreprises, mais le besoin s’est fait sentir de proposer encore plus, d’aller plus en profondeur, ce qui est le cas avec cette nouvelle formation.
Maintenant que vous avez quitté la présidence de l’ASBL, allez-vous reprendre l’écriture ?
Je souhaite en effet reprendre l’écriture d’articles portant sur la question raciale. J’écrivais beaucoup avant la constitution de Lëtz Rise Up et j’ai vraiment envie de me relancer dans cette activité. J’ai déjà republié des articles sur mon blog, hébergé sur le site de Lëtz Rise Up, blog que je compte alimenter régulièrement.
L’écriture est importante : j’ai l’impression que ça a un impact. Et puis, c’est plus calme pour moi, cela me permet d’être un peu plus en retrait.
Tatiana Salvan
Racism est partout Hummmm
@Luxo, merci de prouver par vos commentaires racistes qu’on a encore bcp de travail à faire
Parlez-en chez vous… dans votre patrie
Et dans son pays…, on en parle ???