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[Récit] Du Luxembourg à l’Iran : escapade en famille et en graffitis !


Olivier "Sader", graffeur installé au Luxembourg, est parti avec sa famille dans un road trip incroyable de huit mois. (Photo : DR).

Olivier, Natascha et leurs deux jeunes filles, implantés à Esch-sur-Alzette, racontent leur périple à travers une dizaine de pays durant huit mois, à bord d’un petit fourgon VW. C’est parti pour près de 30 000 kilomètres.

Le voyage en combi... presque 30 000 kilomètres en huit mois (illustration DR).

Le voyage en combi… presque 30 000 kilomètres en huit mois (illustration DR).

Le contexte…

Olivier et Natascha ont la bougeotte. Pour preuve, ces autres voyages, plus ou moins longs, en Europe de l’Est, en Norvège et au Sahara occidental. «On n’a qu’une vie!», lance, un thé à la menthe devant lui, celui que l’on appelle «Sader» en tant que graffeur. Un artiste complet, qui combine ses passions pour la bombe avec celle pour la mécanique, indispensable quand on aime partir en voyage à l’aveuglette, surtout à bord d’un fourgon VW qui a déjà des kilomètres au compteur. «Une fois, au Maroc, il m’a lâché. Après cinq jours complètement dingues à essayer de le réparer, je me suis dit : « Maintenant, je peux partir partout! »»
À ses côtés, Natascha, sa compagne, acquiesce sans trop en rajouter, trop occupée à garder à l’œil Yuna, 4 ans et Lilia, 2 ans, excitées, joueuses et, logique pour leurs âges, dissipées. Ça pose en tout l’ambiance d’un long périple, les uns sur les autres dans une minuscule cabine sur quatre roues. «Partir à deux, c’est plus facile, mais à quatre, ce n’est pas si compliqué, explique-t-elle. Il faut respecter les besoins des enfants, les temps de pause, de sieste… Les laisser se défouler, aussi, quand on s’arrête.»

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Une sensibilité – relatée sur son Facebook parmi d’autres sujets –, qui se heurte finalement qu’à une seule contrainte : la promiscuité. «Quand elles crient dans votre oreille, juste derrière votre tête, il n’y a aucun moyen d’y réchapper, aucun refuge…» Ce qui fait rire son compagnon : «Pour le coup, on ne peut pas leur dire d’aller réfléchir dans leurs chambres!», soutient-il, avant de poursuivre, plus sérieux : «Il faut lâcher prise, être relax, sinon ça devient vite dur. Et les moments joyeux effacent tout!»
Justement, nous y voilà. Après avoir quitté un 45 m2, procédé à un tri drastique de ce qu’il faut emporter ou laisser dans la cave des parents, vérifié, bien évidemment, la mécanique, et évalué la réserve financière – le couple s’est fixé une somme de 1 000 euros à dépenser (ou pas) par mois – il était temps de prendre la route. «Il ne faut pas trop cogiter. De toute façon, on ne sait pas de quoi demain sera fait», clame Olivier. Une philosophie de vie qui accompagne d’autres «frissons», pour le graffiti ceux-là, car ce dernier compte bien raconter leur excursion et leurs humeurs sur les murs qui s’offriront à lui et se laisseront peindre. Un projet dans le même ordre d’idée qu’un plus ancien, «Like Sader», où il se «vendait» sur des affiches dispersées au gré des déplacements, pour mieux se moquer, dit-il, des «réseaux sociaux et de l’ego trip». Bref, les bombes sont prêtes, tout comme la famille.

Roumanie : chasse aux sangliers et avis de tempête

Après la traversée de l’Allemagne, de la Pologne, de la Slovaquie et de la Hongrie, les voilà en Roumanie. Olivier raconte : «On passe notre première nuit à l’orée d’un bois. Au matin, on est réveillé par des chasseurs qui déboulent, en convoi, à bord de 4X4 : ils chopent un sanglier, ils l’étripent, les chiens le bouffent et ils nous laissent les restes…» Un bel accueil, surtout pour une famille qui reconnaît des penchants végétariens, voire véganes.

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Ils resteront dans le pays plus longtemps que prévu, bien malgré eux : «On s’est pris une tempête de folie!», poursuit-il, relayé par Natascha, qui raconte avoir reçu de nombreux messages de proches, éloignés et angoissés : «On s’est rendu compte de l’ampleur quand on a essayé de nous joindre pour nous demander des nouvelles.» Son mari, lui, est trop occupé à essayer de «dégager» le chemin, bloqué par les arbres, et ce, avec les moyens du bord : le câble du fourgon… et un couteau suisse! «J’ai vite arrêté devant l’ampleur des ravages. Là, on est à l’arrêt, ballotté par un vent énorme, c’est le chaos et on se dit : « Mais qu’est-ce qui se passe? »»

 

Turquie : Réunion VW et JO d’hiver 2026

Arrive la Turquie. Ils y passent cinq semaines, séparées par un long séjour en Iran. Là, des anecdotes parfois «folles», comme lorsqu’un matin, dormant, toujours dans leur fourgon, ils voient alors débarquer de nombreux «semblables» : «C’était une réunion de VW, qui célébrait le « Cumhuriyeti », explique Olivier. En somme, ils fêtaient l’avènement de la République, la fin de l’Empire ottoman, des valeurs d’ouverture sur l’ancien conservatisme.» À Antalya, ils embarquent ainsi dans une procession agitée, fait de coups de klaxon et de drapeaux. Malgré l’ambiance joyeuse, manifester de la sorte, «ce n’est pas trop notre trip!».

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Plus tard, c’est devant un énorme portrait d’Erdogan, encore lui, qu’Olivier va se retrouver. Le fruit d’une histoire «dingue», comme il se plaît à raconter. «Dans l’est du pays, à Erzurum – 500 000 habitants quand même! – je cherchais un mur bien « costaud » à peindre. Mais comme là-bas, les graffitis sont rares, on me conseille d’oublier. C’est là que j’ai l’idée d’aller embêter l’office du tourisme.» Après plusieurs appels du pied auprès des représentants officiels – «il les a harcelés, oui!», précise Natascha dans un rire fédérateur – le voilà «embauché» par la commune.
«Je me retrouve dans le bureau du second de la ville, avec des mecs en costard, devant un café turc… Ils me demandent de réaliser un panneau avec la « skyline » («horizon») de la ville, accompagné d’un message de bienvenue dans le cadre de la candidature aux JO d’hiver de 2026!» Une commande réalisée et payée – «ça nous a permis de faire nos visas iraniens». L’histoire retiendra aussi qu’il a quand même trouvé un mur, sur un immeuble en train d’être détruit, pour y apposer illégalement sa signature. On ne se refait pas…

Iran : Queen, Beethoven et travaux de nuit

Olivier, quand il «graffe», reste prudent. «La plupart du temps, c’est à l’abri des regards indiscrets, rapide, et de nuit.» Un réflexe qui prend encore plus de sens en Iran, où son art «représente la culture américaine». Sa compagne, première supportrice, lui fait confiance – «il est assez grand!», mais pas les yeux fermés. «Dans un tel pays, qui jouit d’une mauvaise image, il faut quand même tâter le terrain.» Sa crainte : une arrestation sommaire : car «à trois, ce n’est plus la même aventure…» Cela dit, une fois sur place, la peur et les idées reçues vont rapidement disparaître. Toujours Natascha : «C’est un autre monde, une autre culture : les gens sont ouverts, extrêmement bienveillants. C’est tout le contraire de ce qu’on nous renvoie comme image. Du coup, ça leur tient à cœur que les gens repartent avec une autre idée, et qu’ils la transmettent.»

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Il prend le relais, enthousiaste comme si il y était encore : «Le deuxième jour, il neige. On débarque dans un village typique dans les montagnes. On se prépare pour aller marcher, et là, quatre mecs arrivent. On discute et ils nous disent : « Venez avec nous, on va faire du hors-piste. » On monte dans la voiture : ils écoutaient le groupe Queen à fond!» L’invitation à partager un bout de chemin, puis celle de manger un morceau va durer… trois jours!
Il poursuit : «Ça s’est passé comme ça tout le temps : on n’arrivait plus à avancer. L’hospitalité est innée chez eux. À la fin, on voulait partir la nuit pour ne plus croiser personne!» Dans un pays où les mosaïques, les fresques et les couleurs «sont partout», il y apporte sa pierre à l’édifice avec «deux pièces» réalisées à Chiraz (sud-ouest), sur une «avenue bien fréquentée». Avec, en guise de BO, la Neuvième de Beethoven à fond. Son «plus grand frisson» du voyage.

Turquie (2) : Midnight express et Rolex

De retour en Turquie où, à la frontière, il faut payer la différence d’un plein «bon marché» (6 euros) en Iran, Olivier a alors une frayeur, celle que sa compagne redoute toujours : la police. «J’étais en train de « poser » un lettrage simple. Laisser son empreinte où l’on passe, c’est le principe même du graffeur… Là, une première voiture en civil arrive, suivie d’une seconde, de police. J’avais des bombes de peinture iraniennes, qui ressemblent à celles de déodorant. On commence à me poser des questions, me dire que je n’ai rien à faire là, et moi, je n’avais même pas de passeport, laissé à la voiture.»

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Heureusement, selon lui, les autorités ont d’autres chats à fouetter… «On était proche de la Syrie, et ils sont plus soucieux du problème des réfugiés que d’un mec qui fait de la peinture!» Ouf. Car si ce genre de contrôle lui est déjà arrivé («en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et en République tchèque», énumère-t-il), la Turquie, ce n’est pas la même affaire. «Si on a vu le film Midnight Express ne serait-ce qu’une fois, il y a des images qui marquent! Sur le coup, j’avais les jetons, je n’étais pas fier.» Une mésaventure qu’il racontera à Natascha «seulement trois jours plus tard». Aujourd’hui, il a pris plus de distance : «Dans le graffiti, il y a toujours cette recherche d’adrénaline. C’est excitant! On vibre, on vit… Certains disent : « Quand t’as 40 ans et que tu n’as pas ta Rolex, t’as loupé ta vie. Moi je leur réponds : « Si t’as 40 ans et que tu ne t’es jamais fait arrêter par la police turque, tu n’as rien vécu (il rit)! »»

Grèce : bateau, Iban et bon coeur
Si le couple reconnaît, d’une même voix, avoir vite fait une croix sur un éventuel sponsor («on a uniquement demandé un appui à l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse-Charlotte pour mon projet artistique, qui a refusé»), et d’avoir, malgré tout, su en profiter («on s’est fait parfois un restaurant, histoire ne pas passer deux heures par jour à faire à manger et la vaisselle!»), la nécessité de prendre le bateau fait un gros trou dans le portefeuille. «C’était la moitié du budget mensuel», précisent-ils.

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Pas le choix, il faut faire appel à l’extérieur… «J’ai écrit sur la carcasse d’un bateau le début de mon IBAN, et ça a fonctionné!», raconte Olivier. En tout, ils récolteront 600 euros. «Une personne que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam, a été la plus généreuse. Récemment, alors que je participais à une exposition collective au Luxembourg, on m’aborde : c’était elle! Je la remercie et là, elle m’arrête et me dit : « C’est moi qui vous remercie : vous m’avez fait rêver, m’avez montré que c’est possible de partir, sans avoir des millions »» C’est ce qu’on appelle la grande classe.

Luxembourg : travail, école et… remorque
Derniers tronçons de route en France, puis en Italie, et les revoilà au bercail, après des milliers de kilomètres engouffrés et une soixantaine de graffitis abandonnés dans leur sillage. Dur, dur, particulièrement pour Natascha, qui a tant apprécié «ces moments de liberté quand on était sur la plage, à la belle étoile, autour d’un feu de bois»… Un retour «assez brutal et stressant : il a fallu retrouver un logement, scolariser la plus grande, et moi, trouver du travail». Et dénicher un appartement vite fait au Luxembourg, ce n’est pas une sinécure. Elle poursuit : «C’est une galère pas possible. On vous dit : « Deux enfants? Non, le propriétaire ne voudra pas », ou encore « mais 80 m2, c’est trop petit pour une famille », alors que l’on a vécu huit mois dans un van…»

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Dès lors installée à Esch-sur-Alzette, la petite famille redécouvre les «joies» de la sédentarisation, bien que la route lui tend toujours les bras, mais de façon moins accueillante. «Maintenant, je passe ma vie dans les embouteillages», souffle-t-elle, obligée quotidiennement de rallier Mersch. D’où la question, évidente : avez-vous envie de remettre les voiles? Pour une fois, les avis divergent. Malgré ses objections, Natascha apprécie tout de même «se poser dans le canapé, faire des gâteaux avec les enfants, voir leurs amis», envies auxquelles, d’ailleurs, elle aurait volontiers bien «succombé» durant le voyage, surtout en plein hiver.
Olivier, lui, irait bien revoir du paysage : «Voyager, c’est partager, ensemble, quelque chose de fort. J’aime cette idée de vivre à fond, surtout tant que les filles sont petites.» Il a d’ailleurs commandé des pièces pour rafistoler le van : en effet, cette semaine, ils sont repartis chercher leur «grosse remorque», bourrée de «livres, d’un WC, d’un vélo…», abandonnée depuis l’aller en Pologne. Comme dit l’expression, «qui veut aller loin ménage sa monture». À cela, ils rajouteraient : «et ne doit pas trop se casser la tête». Natascha : «Avant de partir, on a sollicité une famille allemande, partie en Mongolie durant trois ans. On leur a demandé par mail quelques conseils. La réponse que l’on a eue a été la suivante : « Si l’envie vous démange, un seul conseil : partez! »» À bon entendeur.

Grégory Cimatti

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