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[Reportage] Quand le tabac sauve la pompe au Luxembourg


Certaines stations frontalières rentrent pour 100 000 euros de cigarettes chaque semaine dans les rayonnages. (illustration Isabella Finzi)

Aujourd’hui, venir acheter cigarettes et tabac au Luxembourg relève de la véritable expédition pour les Français, et ils viennent parfois de loin pour cela. Une aubaine pour les stations-services frontalières.

Ils n’aiment pas trop dévoiler les quantités de cigarettes et de tabac à rouler qu’ils passent chaque jour au-dessus de leur comptoir. D’après les témoignages recueillis auprès des employés de stations-services frontalières avec la France, ces quantités «ne cessent d’augmenter». Normal avec un prix moyen du paquet de 20 cigarettes à 9,10 euros en France contre 4,80 au Luxembourg. Avec une différence de 43 euros sur la cartouche, c’est par cartons que les cigarettes voyagent.

Les douanes françaises le savent et organisent parfois des contrôles, mais elles ne peuvent pas être partout et ouvrir tous les coffres de voiture ni toutes les valises dans les trains. Le tabac voyage aussi par le rail et, à Luxembourg, le petit kiosque à journaux de la place de la Gare ne prend même plus la peine de déballer les cartons. Aussitôt livré, aussitôt dévalisé. Les clients arrivés à vide, repartent avec les bagages bien remplis. Il arrive que cela fasse du volume.

Avec quatre cartouches et l’équivalent d’un kilo de tabac, le prix du billet de train à cent euros est justifié. Quelques centaines de kilomètres parcourus en voiture le sont tout autant.

Les stations-services qui s’alignent dans les zones frontalières voient leur vente grimper à chaque hausse du prix du tabac en France où les cigarettes ont augmenté de 13 % en 2018 et de 54 % sur dix ans. À ce tarif-là, c’est plus qu’une aubaine pour les débiteurs luxembourgeois, dont certains, selon les témoignages recueillis, rentrent pour 100 000 euros de cigarettes chaque semaine dans les rayonnages. Certaines stations frontalières vendent en un jour ce que d’autres dans le pays vendent en un mois.

«Sans la clientèle française, nous ne serions pas si nombreux au bord de la route», reconnaît un employé d’une station-service de Frisange où les grandes enseignes pétrolières pullulent le long de la rue Robert-Schuman.

«On survit grâce à eux»

«Nous gagnons plus parce que nous vendons plus, mais pas parce que le prix des cigarettes augmente au Luxembourg. Ce sont les accises qui augmentent», regrette une gérante. Une hausse de dix centimes par paquet ne ferait pas fuir la clientèle française et profiterait aux débiteurs de tabac, ne serait-ce que pour compenser la perte de la vente des tubes à cigarettes. Face au succès du tabac à rouler qui se vend par seaux, certaines marques fournissent gratuitement les tubes à remplir. Pour 500 grammes achetés, 1 000 tubes offerts. Le client n’hésite pas. «Certains nous demandent simplement le tabac le moins cher. Ils ne font pas attention à la marque, du moment que les tubes sont gratuits», observe un employé d’une station mondorfoise qui n’a rien à envier à celles de Frisange. Les tubes, ça prend de la place dans les stocks et ça ne rapporte quasiment plus rien.

La gamme de tabac à rouler et à tuber s’est développé et représente aujourd’hui une grosse manne d’argent, ce que ne dément pas l’administration des Douanes et Accises. Au total, la vente des produits de tabac devrait générer des recettes à hauteur de 775 millions d’euros (dont 170 millions d’euros de TVA) dans les caisses de l’État pour 2019. Une rentrée d’argent non négligeable, d’autant que la hausse des accises de deux centimes sur le diesel et d’un centime sur l’essence représente un manque à gagner de quelque 35,5 millions selon les estimations, soit 100 millions de litres de diesel qui ne seront pas pompés au Luxembourg.

Il est révolu le temps où la vente de carburant couvrait les frais de personnel, c’était une règle pour quasiment toutes les stations-services. Aujourd’hui les voitures consomment moins, les transporteurs achètent leur diesel ailleurs, l’électromobilité se développe et les transports en commun s’imposent toujours plus dans un Luxembourg saturé.

Même l’alcool, c’est fini. Du moins, ça ne met plus trop de beurre dans les épinards. Les grands groupes alimentaires français ont réussi à s’aligner sur les prix luxembourgeois et même à vendre moins cher. «Mon prix d’achat, c’est leur prix de vente», nous confie un gérant.

Alors il reste le tabac et les Français qui viennent en nombre se ravitailler. «On survit grâce à eux», avoue une employée.

Geneviève Montaigu

Un périple des Vosges jusqu’au Luxembourg

Marylou a parcouru 180 kilomètres avec trois amis depuis les Vosges pour venir faire le plein de tabac. Une sortie quasi mensuelle pour cette jeune retraitée.

Elle pose sa liste sur le comptoir encombré de multiples gadgets calés entre les chewing-gums et les briquets. Elle se retourne pour s’assurer de la présence des porteurs qui ont fait le voyage avec elle depuis les Vosges. Puis elle commence sa litanie non sans avoir au préalable chaleureusement salué l’employée qui semble bien la connaître. Marylou est une habituée depuis qu’elle a pris sa retraite il y a un an. Elle vient régulièrement au volant de sa vieille Renault Espace jusqu’à la frontière pour faire le plein de cigarettes.

«C’est ma sortie du mois avec les amis», confie-t-elle en refermant le vaste coffre désormais rempli de cartons. Ils sont quatre à avoir pris place dans la voiture, cela leur donne le droit de passer 3 200 cigarettes et 4 kilos de tabac. «On a un peu dépassé les limites», reconnaît Marylou en rigolant avec ses amis. Ils n’achètent pas seulement pour leur consommation personnelle. Leur voyage, c’est toute une expédition. Quand Marylou quitte son village vosgien, elle s’arrête fréquemment sur la route «pour prendre les commandes». La différence de prix est telle qu’elle peut se permettre de demander une commission sur chaque paquet ramené, ne serait-ce que pour couvrir les frais d’essence.

«On ne va pas s’en priver»

Les seaux de tabac s’entassent dans le coffre à côté des cartons de tubes. «On ne peut plus se payer le luxe de fumer en France», dit-elle. Sa maigre pension ne le lui permettrait pas si le Luxembourg n’était pas si près, parce que finalement, 180 kilomètres, c’est rien. «C’est deux heures d’autoroute. On ne va pas s’en priver pour une telle différence de prix», admet Marylou. «Déjà il faut faire des kilomètres dans notre région avant de trouver un buraliste, alors que nous on livre à domicile», plaisante un de ses amis porteurs. Et passeur aussi. Le seul non-fumeur du quatuor.

«Les douanes ? Non, jamais eu de contrôle et on ne dépasse pas de tant que ça la limite autorisée», assure Marylou, qui compte sur l’indulgence des douaniers. «Ils ont mieux à faire que d’emmerder les gens pour trois paquets de cigarettes en trop dans les poches», estime cette Vosgienne. Elle reprend la route après avoir avalé son sandwich sur le parking de la station-service. Elle sait qu’elle est attendue dans quelques villages vosgiens.

Un commentaire

  1. Le Luxembourg favorise ainsi le tabagisme. Il n’y a vraiment pas de quoi en être fier !

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