«Son bureau c’est…» les prés de la capitale. Ed Schaaf occupe une fonction à part au service patrimoine naturel : il est le «fermier» de Luxembourg.
Ed est une force de la nature. Ça tombe bien, son bureau, c’est la nature ! Le service du patrimoine naturel de la Ville, plus précisément. «J’y travaille depuis 17 ans, j’ai besoin du grand air, je ne pourrais pas bosser dans un bureau. Les ordinateurs, les téléphones, même les trucs Apple… ça ne signifie rien pour moi.»
Ed sort de sa poche un vieux Nokia à touches, preuve de sa bonne foi. On le croit sur parole, on imagine mal le bonhomme coincé derrière un bureau, tournant comme un lion en cage.
«Ed, c’est l’homme capable de tout faire»
Ed Schaaf occupe un poste très spécifique au service, «un métier qui n’existe plus», commente Eric Dohm, qui supervise les équipes. Il est le fermier de la Ville. «L’homme capable de tout faire, comme d’antan dans les fermes», poursuit Eric. Ed a de l’or dans les mains. C’est lui qui conçoit du mobilier en bois extraordinaire pour les parcs (avec du bois des forêts de la Ville !), c’est lui qui répare les machines cassées des forestiers. Ed a carrément construit certaines annexes du bâtiment des services du patrimoine, au Mühlenbach.
Et enfin, comme tout bon fermier, Ed garde des troupeaux d’animaux. En pleine capitale ? Eh oui ! «Nous possédons 63 moutons qui jouent le rôle de tondeuse», explique Ed. Des terrains trop escarpés, des zones naturelles protégées, des terrains en friche… Pour un rectangle standard de 300 m², «il faut laisser les moutons paître pendant trois semaines. Ce sont des races croisées Landes/Jacob, c’est du rustique. Après si l’herbe est trop sèche, on ne peut rien en faire.»
Les moutons sont parfaits pour entretenir les prairies protégées ou les vergers de la Ville. Dans le premier cas, ils ne sabordent pas toute la biodiversité d’un coup, contrairement à une lame de tondeuse (orchidée, Ophrys abeille, azuré…) Dans le deuxième cas, les moutons, contrairement aux vaches, sont trop courts sur pattes pour aller manger les fruits… mais suffisamment proches du sol pour brouter l’herbe !
Ed a toujours aimé les animaux, il en a d’ailleurs encore plein chez lui. «Je suis fils de fermier, à Heffingen, dans le Müllerthal. Quand tu grandis dans une ferme, tu dois être débrouillard, tu dois savoir tout faire.» Ed sait donc aussi tondre les animaux. «Les plus vieux moutons du troupeau sont là depuis 17 ans… comme moi.»
«Des types comme lui, ça n’existe plus»
Ed a été boucher dans une vie antérieure. Du coup, quand il fait beau, c’est lui qui cuisine pour les copains du service. Il sort une énorme poêle en fonte qu’il pose à même le feu. L’ambiance vire au camp scout, Ed enfile la casquette de chef-cuistot. Encore un nouveau talent !
Il connaît par cœur le nom des races de bœufs, surtout les espèces françaises, qu’il adore. «Charolaise, Aubrac, Maine-Anjou : tout ça, c’est de la qualité. Ils me font rire ici, avec leur mode du bœuf Angus élevé aux États-Unis façon OGM et antibiotiques !» Ed regrette la disparition des vrais bouchers, il en veut à l’Europe et aux politiques d’une façon assez générale. Cette force de la nature n’aime pas les réglementations. D’ailleurs chez lui, la viande vient du jardin. Le gamin de la ferme n’a aucun diplôme, il a tout appris sur le terrain, en observant.
«Ed part en pension dans huit mois, glisse Eric Dohm avant de partir. Il va nous manquer parce qu’il est irremplaçable. Des types comme lui, ça n’existe plus.»
Hubert Gamelon