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Luxembourg : «des funérailles sur FaceTime»


Les employés des pompes funèbres doivent suivre des consignes de sécurité précises depuis le début de l'épidémie de coronavirus (photo : AFP).

La vie des Luxembourgeois a changé depuis près de trois semaines. Leur mort aussi. Thierry Graul, le président de la fédération des pompes funèbres, raconte comment sa profession s’adapte.

Après les caissières et le personnel médical, les employés des pompes funèbres sont en première ligne face au danger représenté par le coronavirus. Ils appliquent depuis le début de la crise des mesures spéciales découlant d’une ordonnance établie par la direction de la Santé publique en concertation avec la Fédération des entreprises de pompes funèbres et de crémation du Luxembourg.

Elles sont basées sur des scénarios élaborés pour contrer d’autres crises sanitaires récentes. Elles dépassent les gestes barrières et rassurent les employés directement confrontés à une vague croissante de décès qui vient bousculer leurs habitudes.

Ces mesures s’appliquent pour chaque décès, pas uniquement pour les personnes décédées des suites du coronavirus. «Chaque corps est placé dans une housse étanche qui est désinfectée. Les employés des pompes funèbres procèdent ensuite à des soins du corps limités et les défunts ne sont plus habillés de sorte à limiter les contacts avec des dépouilles susceptibles d’être porteuses de germes du virus, explique Thierry Graul, président de la Fédération des entreprises de pompes funèbres et de crémation du Luxembourg.

Des procédures méticuleuses

Les cercueils sont eux aussi désinfectés avant d’être transportés dans une morgue ou au crématorium dans le cas d’une crémation.» Pour le moment, il n’existerait pas encore d’obligation de crémation pour les personnes décédées des suites du coronavirus.

Pour se protéger, les employés des pompes funèbres portent des combinaisons par-dessus leurs costumes, un masque, des lunettes protectrices et une double paire de gants. «Ils superposent deux paires de gants. Cela leur permet de retirer la paire supérieure après avoir manipulé un corps. Ils sont ainsi toujours protégés intégralement et porteurs de gants propres pour poursuivre leurs activités», précise le président. Pour toutes les autres tâches, ils tombent la combinaison.

Quand le décès survient à l’hôpital, le personnel soignant se charge lui-même de déposer le corps dans une housse et de le placer dans la morgue de l’établissement. «Nous venons l’y enlever. Nous bénéficions d’un accès discret depuis une aile moins fréquentée du bâtiment, poursuit Thierry Graul. Dans le cas d’un décès dans une maison de retraite, la procédure est encore différente. Nous confions le cercueil aux employés qui se chargent d’y placer le corps du défunt après l’avoir déposé dans une housse.»

Les technologies à la rescousse

Pour limiter les contacts en cette période de confinement, les entreprises de pompes funèbres – il en existe 25 au Luxembourg – prennent en main toutes les démarches et sont en contact avec les familles grâce aux technologies modernes de communication. «Très peu de gens viennent dans nos boutiques. Nous les conseillons par téléphone ou par e-mail.

En ce qui concerne les échanges de documents, nous fixons des rendez-vous aux familles. Nous déposons les documents dans les boîtes aux lettres ou bien nous les réceptionnons dans les ascenseurs ou sur le palier des portes après avoir prévenu de notre arrivée pour limiter les risques de contacts, explique Thierry Graul. Notre clientèle est souvent plutôt âgée, donc vulnérable. Inutile de lui faire courir des risques.»

Traditions de deuil bousculées

La situation actuelle bouscule également les habitudes et traditions de deuil des familles des défunts. Elles ne peuvent, entre autres, plus se recueillir devant le cercueil ouvert de leur proche décédé. «Elles ont le temps de lui faire leurs adieux avant que nous venions chercher le corps, après ce n’est plus possible. Les familles sont contraintes de respecter les règles auxquelles nous sommes soumis. Ce qui est triste, c’est que lorsque le conjoint du défunt est également atteint du virus, il n’a pas le droit d’assister aux funérailles», explique Thierry Graul.

«Ces règles s’appliquent pour tous les décès sans exception, rappelle-t-il. Nous ne pouvons pas pratiquer de tests sur les dépouilles pour déterminer avec certitude la cause de la mort quand elle n’a pas pu être clairement établie. L’attente de résultats prend encore trop de temps pour le moment.»

Le nombre de personnes autorisées à participer à un enterrement est limité à dix. Pour permettre au plus grand nombre de personnes d’y assister à distance, l’entreprise de pompes funèbres de Thierry Graul, la maison Platz, retransmet la cérémonie en direct sur FaceTime, une application de visioconférence développée par Apple et disponible sur tous les appareils et ordinateurs de la marque. «Sauf pour les crémations», précise-t-il.

Des crématoriums «submergés de travail»

«Les crématoriums sont submergés de travail en ce moment. De même que les columbariums. Il n’y a par conséquent plus de cérémonies organisées en ces lieux, ni de dispersions des cendres effectuées jusqu’à nouvel ordre.»

Thierry Graul assure que, pour le moment encore, les entreprises de pompes funèbres sont en mesure de suivre le rythme. La fédération qu’il préside se charge de centraliser puis de distribuer le matériel de protection nécessaire «dans la limite du raisonnable et des quantités disponibles». Une partie de ce matériel leur est fournie par la cellule logistique du ministère de la Santé, comme les masques.

«La collaboration avec la cellule est très bonne, même si les hôpitaux ou les médecins sont prioritaires par rapport à notre secteur d’activité. La cellule a toutefois compris que nous étions également un maillon essentiel de la chaîne et que notre personnel doit être protégé. Pour pouvoir poursuivre notre activité, mais aussi pour ne pas contaminer les personnes avec qui nous vivons ou travaillons. Ce n’est pas parce que nous sommes les pompes funèbres que nous nous frottons les mains à la vue des prévisions de décès en hausse.»

«Seize décès par jour»

Les croque-morts luxembourgeois n’ont rien à voir avec la caricature prenant les mesures de personnages encore vivants faite d’eux par Morris dans la série des Lucky Luke. Au contraire, ces décès touchent profondément le personnel des entreprises de pompes funèbres. «C’est très difficile psychologiquement», dit pudiquement Thierry Graul, «J’ai personnellement accompagné le corps du patient alsacien transféré au CHL jusqu’à chez lui à Mulhouse. Et pour le moment, nous sommes à 16 décès par jour et cela ne s’arrête pas le vendredi soir pour reprendre le lundi matin. C’est usant. Le crématoire est ouvert jusqu’à 4 h du matin pour que nous puissions disposer de la morgue.» Une mesure rarement mise en place par le passé.

Le nombre de décès augmenterait doucement par rapport aux chiffres des années précédentes pour la même période, selon le président de la fédération des entreprises de pompes funèbres. Une hausse qui ira croissant, craint-il, notamment en raison des personnes atteintes du virus dans les maisons de repos pour personnes âgées, comme c’est le cas aux Parcs du 3e âge à Bertrange où une quinzaine de personnes (personnel et pensionnaires) en souffrent. Les entreprises de pompes funèbres sont en capacité d’absorber cette hausse.

Des plans de repli, au cas où

«En ce qui me concerne, j’ai agrandi mon stock de cercueils. Les places dans les morgues sont nombreuses. Cependant, des plans ont été élaborés pour préparer d’autres endroits où déposer les corps si la situation venait à se détériorer davantage à l’image de l’Italie ou de l’Espagne.» Des scénarios que Thierry Graul préfère garder pour lui pour le moment. Ces plans, qui concerneraient également les hôpitaux, remonteraient en partie à la menace de la grippe aviaire et du virus Ebola. «Nous ne sommes pas partis de zéro pour les élaborer.»

Loin d’être confinés, les employés des pompes funèbres affrontent l’incertitude et risquent leur santé au quotidien. Les mesures mises en place doivent les protéger, mais elles ne réduisent pas la charge mentale induite par les tâches qu’ils accomplissent.

Sophie Kieffer