Le réchauffement climatique provoque de plus en plus de sécheresses (2018, 2020…), qui peuvent imposer aux vignerons d’arroser leurs vignes, notamment les jeunes ceps. Ils aimeraient pouvoir puiser l’eau de la Moselle plutôt que d’utiliser celle du robinet, mais ce n’est pas simple.
La 13e journée de la Viticulture – mais la première en visioconférence – s’est tenue mercredi depuis Wormeldange. Destinée aux vignerons, elle entre dans le cadre de leur formation continue et la fédération viticole (qui l’organise) fait en sorte que les spécialistes qui se succèdent au micro évoquent des sujets d’actualité. L’occasion était donc bonne de s’enquérir de l’air du temps chez les vignerons de la Moselle.
Plusieurs des sujets qui y ont été abordés avaient été évoqués dans ces pages, lors des «pots virtuels» du mois de janvier. Ern Schumacher, par exemple, s’inquiétait des faibles niveaux de précipitation causés par le changement climatique et qui impactent les vignes au point qu’il est aujourd’hui indispensable d’arroser les ceps aux moments les plus critiques. «En 2020, il n’avait pratiquement pas plu entre mars et septembre et les vignes – surtout les jeunes – ont eu besoin d’eau», expliquait-il dans ces colonnes. Le président des vignerons indépendants regrettait le fait de ne pas pouvoir puiser l’eau de la Moselle et de devoir remplir ces citernes avec l’eau potable sortie du robinet. «Non seulement cela coûte cher mais c’est aussi gâcher une ressource qui n’est pas faite pour ça», faisait-il remarquer. Comme quoi, ce n’est pas parce que l’on est vigneron que l’eau est un mot tabou !
Mais le sujet est épineux car il se trouve au croisement de plusieurs réglementations. L’eau est un bien précieux qu’il convient d’utiliser en toute connaissance de cause. L’administration de la Gestion de l’eau (qui dépend du ministère de l’Environnement) y veille. Son directeur adjoint, Luc Zwank, a expliqué mercredi les principaux points qui règlent cette question. En fait, puiser l’eau dans les rivières (comme dans les nappes phréatiques) n’est pas interdit, «mais nécessite une autorisation préalable» délivrée par l’administration de la Gestion de l’eau. Cette eau n’est d’ailleurs pas gratuite. Comme pour les nappes phréatiques, il faut qu’un compteur soit installé à la station de pompage pour mesurer la quantité utilisée. Elle sera facturée 12 euros le mètre cube.
Les deux pays doivent dire «oui»
Bien sûr, l’administration de la Gestion de l’eau est très regardante pour délivrer ces autorisations puisque ces conditions visent à «éviter toute surexploitation», notamment lors des fortes chaleurs estivales où le débit des cours d’eau se réduit. Pas de chance, c’est aussi à ces moments-là que les vignerons (et tous les agriculteurs) ont besoin d’arroser. Pas question, donc, de puiser de l’eau dans les petits affluents de la Moselle l’été mais quid de la rivière frontalière elle-même?
Tant que le débit est suffisant (une notion qui reste à définir), il n’est théoriquement pas impossible d’en tirer de l’eau. Reste qu’il faut compiler un dossier solide pour être en mesure de présenter «une demande qui fixe la quantité maximale prélevée par an». Et puis, particularité propre à un cours d’eau qui court sur une frontière, «il faut aussi l’accord des autorités allemandes puisque la rivière est soumise aux réglementations des deux pays», relève Luc Zwank. Au Luxembourg, c’est simple. En Allemagne, moins : si l’on puise de l’eau entre Schengen et Remich, il faut contacter le Land de la Sarre, mais si le pompage s’opère sur la rive entre Remich et Wasserbillig, le blanc-seing doit venir de celui de Rhénanie-Palatinat.
Administrativement, l’affaire n’est donc pas simple mais elle n’est pas infaisable non plus. Le formulaire de demande préalable est par exemple disponible sur le site myguichet.lu. Une table ronde sur le thème de l’eau avec les autorités luxembourgeoises en charge du dossier a déjà eu lieu et tout le monde s’accorde à dire que le sujet de l’irrigation est, compte tenu de l’évolution du climat, sur le haut de la pile.
Mais la particularité de la Moselle, partagée entre deux États, induit des subtilités supplémentaires. Optimiste, Luc Zwank assure toutefois que «nous allons trouver une solution». Une nouvelle réunion entre les administrations compétentes et les vignerons aurait d’ailleurs déjà due avoir lieu, mais a elle a été reportée à cause du Covid. «Une nouvelle date n’a pas encore été fixée, mais nous sommes disponibles», a assuré pour conclure le directeur adjoint de l’administration de la Gestion de l’eau.
Ern Schumacher souhaitait que cette question trouve une issue favorable dans l’année. L’avenir nous dira si son souhait sera exaucé.
De notre collaborateur Erwan Nonet
La soif, ça se mesure
Lorsque la terre se craquelle, il ne suffit pas d’accrocher la tonne à eau derrière le tracteur et d’ouvrir les vannes en grand pour bien faire son travail. C’est ce qu’a expliqué Apolline Garnier lors de la journée de la Viticulture. L’ingénieur agronome en viticulture et œnologie, responsable du service irrigation et mesure du déficit hydrique chez Fruition Sciences, a développé un sujet passionnant.
Tout d’abord, il faut déterminer précisément le bon moment pour irriguer et donc parfaitement connaître la plante. Ainsi, des capteurs doivent être disposés sur le long terme dans les vignes pour «mesurer la soif de la plante» (notamment sa transpiration), ce que l’on appelle plus scientifiquement «l’indice de confort hydrique». Une des principales erreurs, explique la chercheuse, est de confondre chaleur et sécheresse. La première concerne l’atmosphère, la seconde le sol, et elles ne sont pas nécessairement corrélées.
Car il est très mauvais de surirriguer une vigne. Si on lui apporte trop d’eau, non seulement elle sera plus sensible à chaque épisode sec, mais les racines vont se développer à l’inverse de ce que l’on recherche pour produire du bon vin. Puisque l’eau sera disponible en surface, elles n’auront plus intérêt à plonger dans le sous-sol et resteront à proximité du sol. Apolline Garnier illustre le phénomène en l’appelant «effet junkie». L’eau trop abondante devient une drogue qui perturbe le comportement de la vigne.
Finalement, les études sur le terrain ont montré que plutôt que d’apporter un flux d’eau continu, il valait mieux irriguer moins souvent mais en plus grosses quantités. En somme, imiter des pluies d’orage. En procédant ainsi, on entraîne la résistance de la vigne à la sécheresse et la plante va d’elle-même développer son système en fonction (notamment le diamètre des vaisseaux qui transportent la sève).
En conclusion, bien irriguer nécessite d’abord de parfaitement comprendre les interactions entre la vigne, son climat et son environnement. Car dans le cadre d’une viticulture de précision comme celle à laquelle s’attellent les meilleurs producteurs de la Moselle, il convient de ne prendre que des décisions rationnelles qui respectent le calendrier de la plante.
E. N.