Espèces vénéneuses, impact du changement climatique et de la pandémie… La mycologue Liliane Chillon fait le point en cette saison de cueillette.
Liliane Chillon fait partie du Groupe de recherche mycologique, qui est chapeauté par la Société des naturalistes luxembourgeois (SNL), elle-même comprise dans l’association natur&ëmwelt. La spécialiste nous décrypte cette saison.
Parmi les objectifs premiers du Groupe de recherche mycologique de la SNL figure la volonté de se rendre utile en offrant certains services au grand public. «En effet, avant le début de la pandémie, nous tenions des soirées de détermination (NDLR : identification et désignation de la comestibilité d’un champignon) à la Maison de la nature à Kockelscheuer. Les gens pouvaient ainsi venir y faire déterminer leurs cueillettes», souligne Liliane Chillon. Parallèlement, des sorties sont organisées pour le grand public. «Il s’agit souvent de personnes qui cherchent des champignons pour la casserole, comme on dit. Et depuis trois ans, notre offre s’est élargie avec la tenue de week-ends de formation qui s’adressent à des nouveaux venus. En temps normal, nous sommes une dizaine de personnes au sein du groupe lors de nos réunions. Depuis le début de nos formations, quelques jeunes ont pu être recrutés, sinon la moyenne d’âge est supérieure à 65 ans.»
«Pour la casserole»
Depuis le début de la pandémie, Liliane Chillon dit constater que davantage de personnes s’intéressent aux champignons, «mais toujours pour la casserole. Très peu de gens s’y intéressent de manière scientifique, parce que cela prend quand même beaucoup de temps pour un jeune actif.» Mais le Covid a fait que les gens ont davantage fait de promenades en forêt et s’y sont, superficiellement certes, intéressés.
Pour autant, aucune soirée de détermination n’a pu être effectuée durant la pandémie. Une alternative a cependant été mise en place : «On effectue les déterminations sur la base de photos prises. Celles-ci sont envoyées à la Maison de la nature. Mais il est parfois difficile de déterminer un champignon uniquement sur la base d’un tel support. Les photos ne sont souvent pas bonnes et notre groupe ne donne pas son aval pour consommer le champignon photographié s’il ne parvient pas à déterminer un champignon à 110%. On ne court pas ce risque ! Même s’il s’agit d’un pied de mouton, qui est une espèce facile à reconnaître, nous avons pour philosophie de répondre : ‘c’est à vos propres risques et périls, nous déclinons toute responsabilité quant à une potentielle consommation !‘», dixit Liliane Chillon.
Gare à l’Amanite verte
Alors comment se déroule concrètement ce processus de détermination ? Une partie des champignons vénéneux se déterminent tout simplement par expérience, à l’œil nu donc. D’autres se déterminent grâce à des livres spécialisés et, pour les cas les plus complexes, il faut utiliser un microscope. «Il y a en effet des faux jumeaux, dont certains sont comestibles et les autres dangereux !», prévient la mycologue. Et quant aux risques dus à leur ingestion ? «L’Amanite verte, ou phalloïde, est mortelle, même en assez petites quantités. Un seul champignon peut suffire à tuer et si l’on n’en meurt pas, il détruit le foie humain. Les premiers symptômes apparaissent dans un délai de 24 à 48 heures, au contraire d’autres vénéneux qui provoqueront des symptômes tels que de la diarrhée, mais ne tueront point. Mais avec l’Amanite verte, certains ne font pas le lien avec sa consommation et une transplantation du foie peut s’avérer nécessaire.»
Le groupe recommande donc aux cueilleurs du dimanche de sortir le champignon entièrement de terre, pour pouvoir reconnaître son pied, ses racines… car il faut que le champignon soit entier pour pouvoir faire une parfaite détermination. «Mais il est certain que l’amanite verte est le champignon le plus dangereux de nos contrées et qu’il y est très fréquent ! Nous conseillons donc aux novices de ne jamais en cueillir, car délavée, par exemple, elle devient jaunâtre et peut être confondue avec d’autres espèces non mortelles, voire bonnes. Cela dit, les champignons comestibles sont très rares au Luxembourg, malgré la grande diversité des champignons.» Il existe environ 5 000 espèces sur le territoire pour 10 espèces mangeables.
Un dernier conseil est de ne pas trop manger de champignons comestibles, car ils restent mauvais pour la digestion. «Il ne faut pas en manger tous les jours, car ils contiennent toujours des matières un peu toxiques. Mais il n’y a pas de problèmes avec les champignons d’élevage tels que les champignons de Paris. À noter, enfin, que la loi n’autorise qu’un kilo de champignons par personne, tirés d’une liste bien précise», indique Liliane Chillon.
Les champignons d’hiver très avancés
Quant au réchauffement climatique, il bouscule forcément les saisons et donc le développement des champignons. «Cette saison est très mixte, elle a commencé très tôt. On a trouvé des trompettes de la mort fin août-début septembre, alors qu’on les cueille d’habitude à la fin du mois d’octobre, car c’est un champignon qui arrive normalement juste avant l’hiver. Idem pour d’autres champignons. Il y a une mixture hors normes. En ce moment, on observe aussi un autre collègue de la girolle, la fausse girolle, qui n’est pas comestible. C’est aussi la saison de la Pholiote changeante. Il faut y faire très attention, car il a un sosie très vénéneux, la Galère marginée. De manière générale, il s’agit d’une saison très avancée pour les champignons d’hiver», constate Liliane Chillon.
Par ailleurs, on ne trouve plus de trompettes de la mort pour le moment. «Pourtant, on en trouvait des quantités folles il y a encore deux mois dans l’Oesling. Et un collègue du sud de la France m’a envoyé un courriel dans lequel figurait une photo représentant des paniers pleins de trompettes, ce qui était aussi une exception pour la France. Bref, il y a clairement un changement qui se produit dans la nature et les livres spécialisés ne correspondent plus aux saisons annoncées… Ça se mélange pour le moment et ce phénomène existe depuis quatre à cinq ans. On remarque également l’apparition de quelques champignons thermophiles (NDLR : champignons qui poussent dans des régions plus chaudes, dans le sud de la France par exemple) qui, jusque-là, étaient absents des contrées du Grand-Duché. Les champignons s’adaptent au climat et à ses changements. Et donc la population des champignons change également», analyse enfin Liliane Chillon.
Claude Damiani
Une passion qui vient de loin
Liliane Chillon est membre «depuis environ 40 ans» de la Société des naturalistes du Luxembourg, qui dispose de sections consacrées aux plantes, aux champignons, aux papillons. «Il y a un lien étroit entre toutes ces organisations», explique celle qui est active dans la section destinée aux mycologues. «Cette passion m’a été transmise juste après-guerre, alors que j’étais petite et que l’on habitait dans un village. On cueillait des girolles, des bolets et le rosé des prés. Ce sont trois champignons très reconnaissables. Plus tard, j’ai pu fréquenter une école en Forêt-Noire allemande pour l’apprentissage des champignons. Il s’agissait à chaque fois de réaliser un stage d’une semaine. J’y ai reçu un diplôme permettant de déterminer les champignons sur les marchés, dans les magasins…. après avoir un passé un examen de ‘Pilzberater’.»