Dans le cadre de la lutte menée contre l’épidémie Covid-19, la Fondation de Luxembourg a lancé une initiative pour apporter un soutien à des projets dans les secteurs des soins de santé, de la recherche scientifique ainsi que dans le domaine social. Sa directrice générale, Tonika Hirdman, fait le point.
Dans quel cadre a été lancée l’initiative de la Fondation Covid-19?
Tonika Hirdman : Dès le début du confinement lié à la crise sanitaire, la Fondation de Luxembourg a été approchée par certaines entreprises luxembourgeoises et internationales. Celles-ci souhaitaient contribuer dans le cadre de cette urgence, mais elles ne savaient pas exactement comment procéder. Elles se sont adressées ainsi à nous afin de voir comment elles pouvaient apporter leur aide, au travers de la Fondation de Luxembourg. Notre mission générale est d’accompagner les personnes qui souhaitent créer une fondation sous l’égide de la Fondation de Luxembourg. Mais dans ce cas-ci, il s’agissait d’une démarche complètement différente : comment est-ce qu’on pourrait répondre à leur volonté de contribuer à faire face à la pandémie.
D’où la naissance de la Fondation Covid-19?
Oui. Nous avons donc réfléchi et la décision de créer une toute nouvelle fondation, abritée par la Fondation de Luxembourg, a été prise très rapidement : nous l’avons nommée « Fondation Covid-19 ». Il s’est donc agi d’une toute nouvelle initiative, parce que d’habitude, nous ne travaillons pas vraiment dans l’urgence. En effet, notre mission est d’accompagner, sur le long terme, des personnes et des sociétés qui souhaitent créer leur propre fondation, personnalisée sous l’égide de la Fondation de Luxembourg. Cela étant, nous nous sommes dit que nous étions face à une crise sanitaire très importante, et qu’il faudrait voir comment se montrer utile, de notre côté, pour canaliser le financement. Il y avait donc un besoin urgent à ce moment-là.
Concrètement, comment ce financement a-t-il dès lors été canalisé?
La Fondation Covid-19 a été ouverte à tout donateur, privé ou société professionnelle, qui souhaitait contribuer à un projet de son choix. La Fondation de Luxembourg a effectué la présélection des projets en relation avec la crise sanitaire, et ce, dans trois secteurs différents : ceux de la santé, du social et de la recherche scientifique. Le donateur a pu choisir le projet qu’il souhaitait financer, le tout dans un cadre de suivi effectué par la Fondation de Luxembourg.
Face à la crise, la décision de lancer la Fondation Covid-19 a été prise très rapidement
Quel montant avez-vous reçu de la part des donateurs?
Jusqu’à la semaine passée (NDLR : dernière semaine du mois de mai), nous avons reçu des dons d’un montant de près de 500 000 euros, lequel a été réparti et versé dans les différents projets classés dans les trois secteurs que j’ai évoqués. Il s’agit d’un montant très important, étant donné que l’on parle d’une période de seulement deux mois et demi.
De combien de projets, déjà réalisés ou en cours de réalisation, parle-t-on au total?
D’une vingtaine de projets différents. Il s’agit de divers projets de recherche, réalisés entre autres avec l’université du Luxembourg et le Luxembourg Institute of Health (LIH). Il y a également beaucoup de projets dans le domaine du social.
Un de ces projets a bénéficié à la Stëmm vun der Strooss. De quoi s’agissait-il exactement?
En effet, l’un des premiers projets soutenu a été réalisé avec Stëmm vun der Strooss (NDLR : ASBL qui œuvre en faveur de l’intégration sociale et professionnelle de personnes défavorisées), en vue de l’acquisition d’un camion frigorifique. L’association se trouvait dans une situation très difficile, car avec l’arrivée de la crise, beaucoup de membres de son personnel qui sont des personnes vulnérables, ont subitement dû s’isoler. L’ASBL s’est retrouvée en situation de manque de personnel.
Au travers de la donation, Stëmm vun der Strooss a reçu un financement pour acheter un nouveau camion frigorifique, afin de faciliter son travail pour livrer des repas à des sans-abri. C’était un projet de plus de 50 000 euros.
J’ai personnellement été interpellée par les difficultés des sans-abri qui sont nombreux au Luxembourg, mais aussi dans d’autres pays en Europe. Car tout à coup, lorsque la crise est arrivée, ils ne pouvaient pas faire comme la majorité des gens, à savoir se confiner dans leur propre logement, puisqu’ils sont dans la rue. Avec le confinement, il n’y avait plus de gens dans l’espace public pour leur donner un peu de réconfort et les sans-abri ne pouvaient donc pas se protéger de la crise. Cela m’a beaucoup touchée et je suis très heureuse qu’on ait pu les soutenir au travers de ce projet.
Outre cet exemple, je peux également citer un projet destiné à rompre l’isolement de personnes vulnérables ou âgées pendant le confinement par l’acquisition de tablettes et celle d’équipements de protection pour le personnel en charge des visites chez des personnes atteintes ou qui pourraient être atteintes par la maladie.
Le fameux projet Tyvex 600+ vous a également fortement interpellée. Pouvez-vous en rappeler les contours?
Il s’agit d’un projet initié par la Fondation Hôpitaux Robert-Schuman (FHRS), qui a permis la production, sur le sol luxembourgeois, de combinaisons et de blouses de protection pour le personnel de santé des hôpitaux. Une collaboration s’est mise en place entre la FHRS, les ateliers Eva Ferranti et la société DuPont, laquelle a fourni le matériel textile, c’est-à-dire un tissu de protection particulier, dénommé « Tyvek ». Grâce au financement du projet, 10 000 blouses par mois ont été produites et cela, en trois mois.
Ce projet est à la fois très innovant et collaboratif. Ce qui m’a beaucoup plu dans ce projet, c’est cette collaboration entre des acteurs évoluant dans des secteurs très différents : les Hôpitaux Robert-Schuman pour le secteur de santé, l’atelier Eva Ferranti qui est une société luxembourgeoise normalement spécialisée dans la mode et la haute couture et qui a réussi à adapter son site de production pour pouvoir être utile face à la crise, ainsi que la grande société internationale DuPont via sa filiale au Luxembourg.
Cette collaboration a été mise en place pour pouvoir assurer une production de vêtements de qualité, ici au Luxembourg, à destination de notre secteur de santé. J’estime que c’est une très belle réussite qui est aussi une preuve de la volonté qui existe ici, au Luxembourg, de toujours trouver de bonnes solutions face à un problème de taille.
Un autre exemple de projet, qui relève aussi bien du secteur de la santé que du secteur social est celui de Médecins du monde…
En effet, le projet de Médecins du monde, qui est une ONG œuvrant en faveur des personnes vulnérables qui ne bénéficient pas de protection sociale, a permis de lui apporter un financement pour acheter des équipements de protection à destination de leur personnel. Et à présent, il y a un nouveau projet qui vise à aider les gens qui sont immunodépressifs.
J’ai été touchée par le très grand nombre de donateurs
Y a-t-il également des projets à l’international?
Une grande partie des fonds a été reversée aux projets au Luxembourg. Mais parmi les projets, il y en a également qui ciblent des pays qui étaient déjà vulnérables avant la crise, comme le Yémen ou la Syrie par exemple, qui souffrent de la guerre et où se trouvent des camps de réfugiés, ainsi que de jeunes enfants qui sont particulièrement vulnérables. Car s’est manifestée cette peur, liée à la question de savoir comment ces régions pourraient affronter la crise si jamais le virus devait les toucher. Nous avons un temps craint que les fondations existantes, qui ont déjà des soutiens pour ces projets-là, veuillent diminuer leurs dons, parce que les marchés ont aussi été volatils. Mais elles ont effectivement maintenu leur soutien aux projets existants et cela est très positif.
Au travers de la Fondation Covid-19, les soutiens à l’international sont plutôt destinés au continent africain. En fait, il n’y a pas eu de grandes distributions financières qui ont été faites en faveur du Yémen et de la Syrie. Les soutiens à ces pays ont plutôt été faits par des fondations déjà existantes. Cela étant, nous voulions tout de même conscientiser le fait que cette crise ne touche pas seulement le Luxembourg et qu’elle amplifie les problèmes pour des populations déjà vulnérables.
Quels ont été les retours que vous avez pu avoir du terrain, en termes de reconnaissance?
La Fondation de Luxembourg ne cherche pas à avoir de la reconnaissance, ce n’est pas sa mission. Ceci dit, nous avons eu beaucoup de retours positifs. Je pense que c’est surtout dû à la rapidité de notre réaction, mais je me répète, notre fondation ne cherche pas de retours. Si nous pouvons nous montrer utiles dans une crise, alors nous sommes très heureux.
Si vous aviez un message à faire passer aux donateurs, quel serait-il?
Je trouve très positive cette énorme volonté du peuple luxembourgeois de vouloir partager avec d’autres, en période de crise. On l’avait déjà constaté après la crise financière, et je sais qu’historiquement, on a également vu cette volonté, notamment il y a plusieurs décennies, pendant la crise de l’acier. Je trouve que cette volonté de partage est très honorable. J’ai été touchée par le très grand nombre de donateurs qui se sont présentés pour voir comment ils pouvaient participer à l’aide envers les gens touchés par cette crise sanitaire.
La Fondation Covid-19 sera-t-elle amenée à être pérennisée?
Ce n’était pas l’intention exprimée lors de sa création. Cela dit, face à une crise au caractère urgent, on peut considérer qu’elle court toujours; le virus est toujours présent. Mais mon message est aussi celui selon lequel il faut penser à l’après-crise immédiate, car cette crise d’urgence pandémique aura des effets économiques qui seront très importants, et ce, pendant des années.
J’espère ainsi que cette volonté de partage au bien-être d’autrui puisse aussi se poursuivre après cette période d’urgence sanitaire et de confinement. La Fondation Covid-19 va continuer son action pour autant qu’il y ait un intérêt à soutenir également les effets de la crise sanitaire.
Entretien avec Claude Damiani