Accueil | Luxembourg | Ferme Hackin à Boevange : son destin interroge

Ferme Hackin à Boevange : son destin interroge


Si la ferme Hackin a gardé l'âme de sa splendeur passée, ses dépendances sont en piteux état. (photo Anne Lommel)

Classée monument national, la ferme Hackin est dans un triste état. Rachetée récemment, elle devrait faire l’objet d’une réhabilitation qui inquiète une passionnée du patrimoine.

En arrivant au numéro 1 de la rue de Helpert, à Boevange-sur-Attert, on est saisi par l’ampleur de cette ferme qui forme un U, dont l’un des côtés suit la courbe de la route et l’autre plonge ses pieds dans l’Attert. Teintée de rouge, comme de nombreuses bâtisses rurales du pays, on ne peut pas rater son corps de logis, qui semble lui encore bien préservé, ni l’architecture asymétrique de ses dépendances également classées.

Une carte établie en 1778 montre qu’il existait déjà un bâtiment à cet emplacement, ce que confirme le cadastre de 1824. L’ensemble a probablement été construit au fil du temps, des moyens et des besoins.

Le toit serait tombé

Si la ferme Hackin a gardé l’âme de sa splendeur passée, ses dépendances sont en piteux état. Il faut dire que selon Wikipédia, la ferme n’était déjà plus habitée en 2012. Une mauvaise conservation qui inquiète Karin Waringo, une habitante du pays férue de patrimoine au point de se spécialiser dans la rénovation. Lorsqu’on compare les photos de la bâtisse prises pour l’inventaire scientifique de la commune de Helperknapp avec celles qu’on peut encore voir sur Google Street, on remarque désormais l’absence du toit de la dépendance qui borde l’Attert. «On m’a expliqué qu’il était tombé», indique Karin Waringo qui s’interroge. La chute soudaine de l’entièreté de la toiture de l’un des bâtiments avec des morceaux de murs lui paraît peu probable, même si l’édifice a sans doute été fragilisé par la destruction récente d’un bâtiment attenant, d’autant que l’agence immobilière en charge de la vente lui avait parlé quelque temps plus tôt du besoin de «démolir une partie des dépendances pour faire cinq unités d’habitation», relate la passionnée du patrimoine. Celle-ci craint que le délabrement de la bâtisse soit utilisé comme argument pour demander une autorisation de destruction des annexes.

«La ferme est réalisée dans un style régional qui se fond parfaitement dans le décor, complète la spécialiste de la rénovation qui n’a pas eu accès au projet de réhabilitation puisqu’il s’agit d’une propriété privée. On y retrouve des matériaux typiques d’ici, certaines faïences», ou le mâchefer, des détritus d’usines de la sidérurgie qui étaient mélangés pour faire l’enduit des façades. Cela permettait de recycler un produit inutile qui était peu coûteux. La base du mur est en moellon, une pierre d’ici, «on utilisait des produits naturels, biosourcés, ce qu’on avait sous la main».

Symbole «d’un désintérêt»

Choquée par l’état de l’édifice et sensible à l’histoire de Joseph Hackin dont son père lui a beaucoup raconté les exploits, elle a écrit un courrier à la ministre de la Culture en début d’année pour lui faire part de ses inquiétudes : «Face aux hommages qui lui sont rendus en France, je comprends mal le désintérêt pour Joseph Hackin au Luxembourg, qui se manifeste notamment par l’abandon de sa maison natale à des intérêts privés. […] Une fois la ferme transformée en complexe résidentiel, qu’est-ce qui permettra d’apprécier le contexte dans lequel Joseph Hackin est né ?»

«Dans l’étable, j’ai trouvé une plaque funéraire sur laquelle figurent notamment les noms des parents de Joseph Hackin, note encore dans son courrier Karin Waringo. Comment cette plaque a-t-elle abouti à cet endroit et qu’en adviendra-t-il lors de la transformation de l’immeuble ? Je me permets donc d’en appeler à vous pour vous demander d’empêcher le morcèlement de la maison natale de Joseph Hackin et de prendre des mesures appropriées pour sa sauvegarde. Votre intervention est urgente puisque les travaux devraient commencer bientôt.»

Karin Waringo y verrait bien un lieu de rencontre, un mélange entre musée où l’on pourrait voir des expositions sur les expéditions d’archéologie ou de l’immigration luxembourgeoise en France, à l’image des parents de Joseph Hackin partis chercher du travail dans l’Hexagone : «À la fin du XIXe siècle, il y avait officiellement environ 30 000 Luxembourgeois en France pour une population au Grand-Duché de moins de 200 000 personnes.» Elle y imagine aussi un café et des événements pour donner de l’attractivité à cette région moins connue. Mais surtout, pour elle et l’association à laquelle elle adhère, Luxembourg Under Destruction, «cette ferme est emblématique d’un patrimoine qui disparaît au profit de projets immobiliers coûteux et sans âme», en l’occurrence le patrimoine rural. Les inquiétudes sont bien présentes même si la ferme Hackin n’est pas vouée à disparaître et malgré la réponse de la ministre de la Culture, datée du 30 janvier et qui se veut très rassurante : «Un projet concernant l’entièreté de la ferme a été élaboré en collaboration étroite avec le Service de sites et monuments nationaux (SSMN). Ce projet, très respectueux envers le patrimoine existant, a été autorisé par mon ministère et sera accompagné par le SSMN.»

Plus de permis de construire

Dans l’annonce immobilière qui proposait ce bien à la vente par Elite Immobilière SARL, le prix était affiché à 460 000 euros il y a quelques jours encore. L’annonce précisait que le bien faisait déjà l’objet d’un compromis de vente (nous n’avons pas réussi à joindre cette agence immobilière lundi).

Dans un mail du 11 février que nous avons consulté, destiné à Karin Waringo, le bourgmestre de la commune de Helperknapp, Frank Conrad, indique «qu’en 2017, un permis de construire a été délivré, qui a été développé en collaboration avec le SSMN. Cependant, comme ce projet n’a pas été finalisé et qu’un permis n’est valable que pour un an, sauf prolongation, il n’y a actuellement pas de permis de construire valide. Il n’y a pas non plus de permis de démolition de la cour ou d’une partie de celle-ci» (traduit du luxembourgeois). On ne sait pas quand et comment les travaux commenceront ni dans quel état sera la ferme à ce moment, mais on peut être sûr que Karin Waringo suivra la suite de la procédure administrative et les travaux de près.

Audrey Libiez

Archéologue puis résistant, une vie digne d’un film

490_0008_15228158_couple_hackinOn lui attribue la découverte du trésor de Begrâm. Joseph Hackin, né dans la ferme de Boevange-sur-Attert, a marqué l’histoire par ses expéditions avant de tout quitter pour rejoindre le général de Gaulle avec Marie.

Joseph Hackin, c’est un nom qui ne parle pas aux Luxembourgeois, pourtant c’est peut-être l’un des natifs du pays qui s’est le plus illustré en dehors des frontières du Grand-Duché. Joseph est né en 1886 au Luxembourg de parents luxembourgeois, d’origine sociale très modeste, fils d’un cocher et d’une domestique, il passe pourtant son baccalauréat, ce qui est étonnant pour l’époque. Selon le site internet français de l’Ordre de la Libération, cet enfant unique quitte le Luxembourg à l’âge d’un an.

En 1907, fraîchement diplômé de l’école libre de sciences politiques, il devient secrétaire du fondateur du musée Guimet, Émile Guimet. Il est naturalisé français en 1912. Homme savant et de terrain, en 1916, il profite d’être blessé au combat pendant la Première Guerre mondiale pour finir sa thèse sur les bouddhas tibétains. Blessé trois fois il reprendra les armes jusqu’en 1919 en terminant sur le front de l’orient en Ukraine. Démobilisé en juin 1919, le capitaine Hackin retrouve ses activités au musée Guimet dont il est nommé conservateur en 1923 et qu’il va s’attacher à moderniser.

Marie, sa femme, est née en Moselle en 1905, mais elle est aussi d’origine luxembourgeoise. Joseph s’est fait connaître en étant l’archéologue de la Croisière jaune, un raid automobile allant de Beyrouth à Pékin en 1931, organisée par André Citroën.

Résistants de la première heure

Il est nommé professeur à l’École du Louvre pour l’archéologie et l’Histoire de l’Inde en 1929, année où il repart pour l’Afghanistan avec sa jeune épouse Marie en dépit des troubles politiques locaux. À partir de 1934, il assure sur le terrain la direction de la Délégation archéologique française en Afghanistan. Selon le musée Guimet, il découvre le trésor de Begrâm en 1937. Le trésor est composé de verres gréco–romains, de laques de l’époque Han et d’ivoires indiens les plus anciens connus à ce jour. Cela démontre à quel point l’Afghanistan, qui était sur la route de la soie, était au confluant des civilisations européennes. Si cette découverte lui est attribuée, le mérite reviendrait en réalité à sa femme selon plusieurs experts, dans une époque où l’on ne parlait que des maris.

En 1940, ils font le choix de tout quitter pour rejoindre le général de Gaulle en Angleterre et jouent chacun un rôle important. Marie, dite Ria, a contribué à diriger et mettre sur pied le corps des volontaires françaises. Lui est notamment chargé par le général de Gaulle de représenter la France libre auprès du vice-roi (anglais) en Inde. Alors que le couple est en mission sur le cargo Jonathan-Holt, celui-ci est torpillé le 24 février 1941 près des îles Féroé. Tous deux disparaissent en mer. Joseph est titulaire de la Légion d’honneur et de la croix de guerre. Le couple fait partie des 1 059 compagnons de la Libération reconnus par le général de Gaulle.