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[FC Metz] «Cette tribune Sud est un véritable monument !»


Marc Santolini (à g.) et toute l'équipe en charge de l'étude du chantier de la tribune Sud. Un patron heureux. (Photo : Luis Mangorrinha)

Marc Santolini, directeur d’ICR Groupe, bureau d’études basé à Schifflange en charge de la tribune Sud du stade Saint-Symphorien, a assisté avec attention mercredi au début de la levée de la charpente métallique.

Vous êtes donc l’homme à qui l’on doit la nouvelle tribune Sud. Pourquoi vous?
Marc Santolini : Le bureau d’études ICR que je dirige a déjà étudié les tribunes Ouest en 1998 et Est en 2000. Pour la première, un concours avait été organisé par la Ville de Metz. On l’a gagné mais c’était un coup de force car nous étions outsiders. L’équipe pressentie avait déjà fait des approches auprès du maître d’ouvrage, du club et de la Ville… Pour la deuxième tribune, même chose : on a répondu à un concours et notre projet a été retenu.

En étant à la baguette pour ces deux tribunes, votre bureau d’études partait favori lors de l’appel d’offres pour la tribune Sud…
Sauf que les dirigeants actuels du club, nous ne les connaissions pas… La différence, par rapport aux deux autres tribunes, c’est qu’il s’agissait ici d’un marché semi-public. L’architecte, l’Allemand Karsten Fiebiger, avait déjà été choisi. Il avait élaboré des plans avec le cabinet Moreno, basé à Luxembourg.

Il ne faut pas qu’il y ait de rafales de vent… D’ailleurs, la levée était initialement prévue pour mardi, mais elle a été reportée en raison des prévisions météorologiques peu favorables

Ce chantier est-il différent des deux précédents?
Cette tribune est immense par rapport aux autres! Sa particularité réside dans le fait qu’elle ne s’arrête pas uniquement à la longueur du terrain car deux virages y sont associés. Le président (NDLR : Bernard Serin) voulait une vitrine et je pense que cette tribune va être une porte de la ville. C’est un monument! Il faut se rendre compte que la structure en béton armé fait 29 m de haut et la charpente métallique 45 m. Par rapport aux deux autres tribunes, les bords de toitures seront sensiblement à la même hauteur. Par contre, le porte-à-faux avant est beaucoup plus important puisque sa longueur est supérieure à 44 m.

La levée de la charpente métallique s’est déroulée ce mercredi*. Que ressentez-vous?
Une certaine fierté. Au sol, les fermes et les tirants d’ancrage sont assemblés par colis de deux-trois fermes avec les tirants. Un colis avoisine les 200 tonnes. Le tout est levé à l’aide d’une puissante grue et posé sur les appuis prévus à cet effet. Le poids total de la charpente métallique est de 1 200 tonnes.

Une opération particulièrement délicate…
Oui, il ne faut pas qu’il y ait de rafales de vent… D’ailleurs, la levée était initialement prévue pour mardi, mais elle a été reportée en raison des prévisions météorologiques peu favorables.

La pose de la charpente métallique a débuté ce mercredi et se poursuivra aujourd'hui si la météo le permet. (Photo : dr)

La pose de la charpente métallique a débuté ce mercredi et se poursuivra aujourd’hui si la météo le permet. (Photo : dr)

Avant 98, aviez-vous déjà procédé à la rénovation d’infrastructures sportives?
Pas de cette ampleur. Après la tribune Ouest, nous avons étudié un ouvrage qui me tient assez à cœur, car il s’agit de la salle Jean-Weille à Nancy où évolue le SLUC. La toiture existante a été rehaussée de plus de dix mètres. Des poutres en treillis métalliques de plus de 36 m de portée ont été mises en place pour la supporter. Les hémicycles de part et d’autre du bâtiment existant ont été construits alors que la salle était toujours en exploitation.

Quel est votre rôle précisément?
Le rôle de l’ingénieur est de permettre que la construction imaginée par l’architecte soit réalisable.

Quand avez-vous été choisi et quand avez-vous terminé?
En juin 2018. Depuis, ICR a vécu à un rythme un peu infernal et on continue encore d’ailleurs…

C’est-à-dire?
Les études de la tribune Sud maintenant terminées, ICR réalise celles des virages sud-est et sud-ouest. Les gradins ont été dessinés pièce par pièce car préfabriqués en usine. Pour chacune d’entre elles, il a fallu établir des plans spécifiques.

Le propre de l’ingénieur est de faire en sorte que la folie architecturale soit réalisable

Ce projet a-t-il monopolisé toute votre équipe?
Non, on a d’autres projets encore à côté. C’était un peu là le problème. Mais il y avait une équipe « tribune » composée de sept personnes : un ingénieur et trois projeteurs pour le béton; un ingénieur et deux projeteurs pour la charpente.

C’est quoi un projeteur?
C’est l’échelon au-dessus du dessinateur. C’est-à-dire qu’il ne fait pas que dessiner. Il y a une réflexion. Mais il n’est pas ingénieur. Chez ICR, celui qui calcule est ingénieur diplômé. Pourquoi? Non pas parce que ceux qui ne le sont pas sont moins bons ou moins performants, mais parce que la démarche n’est pas la même. L’un est un technicien de la construction, l’autre un scientifique de la construction. Ce dernier sait pourquoi cela fonctionne ou pourquoi cela ne fonctionne pas. Le problème, à l’heure actuelle, c’est les logiciels accessibles à tous. Mais l’intelligence n’est pas sur le disque dur, mais devant l’écran.

Vous n’êtes donc pas encore prêt à être remplacé complètement par l’intelligence artificielle?
Non, le logiciel sortira des résultats, mais il faudra quelqu’un pour les analyser, voir s’ils sont justes ou faux.

Y a-t-il une structure chargée de vérifier vos calculs?
Bien sûr, un bureau de contrôle français, Socotec.

Revenons à cette tribune Sud : vous parlez de « monument ». Quelles sont ses spécificités?
Le cahier des charges concerne surtout l’architecte. Il y a l’espace coworking, le business club, des bureaux… L’architecte se charge de la répartition. En fonction de ses plans, nous établissons les nôtres afin que le tout soit réalisable.

Y a-t-il un moment où vous êtes allé voir Karsten Fiebiger pour lui dire que l’un ou l’autre point n’était, justement, pas réalisable?
(Il rit) Mais tout le temps! Le propre de l’ingénieur est de faire en sorte que la folie architecturale soit réalisable. Il s’agit d’un tandem au sein duquel l’architecte pousse l’ingénieur à se dépasser. Ce qui est une excellente chose, car sans ça, l’ingénieur pourrait se complaire dans son quotidien technique et on n’aurait pas les bâtiments actuels.

À mes yeux il manque un milieu de terrain. Un distributeur à la Pirlo

Sur ce chantier, vous êtes-vous retrouvé face à de véritables casse-tête?
Oui. On a des voiles immenses, des porte-à-faux énormes…

Cette tribune sera-t-elle livrée à temps?
Elle doit être opérationnelle en août. Et elle le sera. Les virages, eux, sont prévus à l’été 2021. C’est un délai raisonnable.

Au bord du terrain, on voit des panneaux publicitaires Demathieu Bard et Costantini, mais pas un seul d’ICR. Y a-t-il une raison?
Dans tous les projets, on parle rarement de l’ingénieur. Le défaut qu’on a, ou que j’ai, c’est d’être un peu trop discret. Un tort sans doute car, au Grand-Duché, il y a beaucoup de bureaux d’études et bien que nous y soyons basés depuis 2010, nous ne sommes pas perçus comme des Luxembourgeois.

Sur les 60 millions que coûte cette tribune Sud, vous devriez récupérer suffisamment pour vous offrir l’un ou l’autre panneau publicitaire, non?
Oui, mais ramenée au travail fourni, à la prestation et aux heures passées, la somme perçue n’est pas mirobolante.

Avec trois tribunes à votre actif, vous entrez à Saint-Symphorien sans avoir besoin de montrer patte blanche…
Oui, les gens me reconnaissent. Je croise souvent Carlo Molinari que j’appelle toujours « président ». Il m’est arrivé de vivre de bons moments à ses côtés. Je me souviens d’un match à Marseille, en 98, au Vélodrome. On était partis avec lui en avion et d’autres membres du club. C’était l’époque de Pires, Meyrieu, Song… C’était un instant très convivial. Je me souviens que le président de Montpellier (NDLR : Louis Nicollin) avait spécialement fait le déplacement jusqu’à Marseille pour le saluer. Je le revois encore avec son petit chien dans les bras…

Quel est votre rapport au football?
J’ai grandi à Knutange et je jouais dans le club local. Les moyens de transport n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui et ce n’était pas simple d’aller à Saint-Symphorien. Jeune, le football, c’était les joueurs italiens : Riva, Rivera, Facchetti, Mazzola…

Que pensez-vous de l’équipe actuelle du FC Metz?
Déjà, je vais voir tous les matches! Et j’y prends beaucoup de plaisir. Quand ils jouent à l’extérieur, je passe la soirée avec mon téléphone posé devant moi pour suivre la rencontre. Quant à l’équipe, je l’aime beaucoup car, entre les joueurs venus du Sénégal via l’académie Génération Foot, le gardien qui est international algérien, un Tunisien, un Ghanéen, elle est multiculturelle. Alors, voir des gens au crâne rasé scander le nom de Diallo, je trouve que c’est un formidable pied de nez au racisme. Ce public est assez formidable car il a toujours été là. Pour ce qui est du jeu, ce sont peut-être mes origines italiennes qui me font parler, mais à mes yeux il manque un milieu de terrain. Un distributeur à la Pirlo (il rit).

Il y avait Pjanic…
Oui, un Schifflangeois!

Quel est, pour vos yeux d’ingénieur, le plus beau stade?
Le Stade de France car j’ai eu la chance de le visiter durant sa construction.

Dans l’absolu, sur quelle infrastructure aimeriez-vous travailler?
S’il m’est permis de rêver, je dirais un stade de football destiné à accueillir un Mondial…

Recueilli par Charles Michel

* La pose de la charpente métallique doit se poursuivre ce jeudi.