Les vignerons mosellans sont furieux : on trouve davantage de vins étrangers que de la Moselle au sein même du pavillon luxembourgeois de l’Exposition universelle de Dubai.
Stupeur. Sur les réseaux sociaux, vendredi, les vignerons partagent en masse les photos de la carte des vins du Schengen Lounge, le salon du pavillon luxembourgeois à l’Exposition universelle de Dubai. Les clichés ont été pris par leur collègue Luc Duhr (Clos Mon Vieux Moulin, à Ahn), qui se trouve en ce moment sur place.
Que voit-on sur ces clichés? Six vins luxembourgeois et… huit vins étrangers (français, italiens et australiens), sans compter sherry espagnol, le porto ou les cocktails composés sans aucuns ingrédients luxembourgeois. «Nous avons très bien mangé, le pavillon est très joli et très bien fait, malheureusement, quelle déception avec les vins… Il n’y en a que la moitié de luxembourgeois. Pour les bières, c’est la même chose : deux étrangères et de la Bofferding. Et pas de cidre Ramborn non plus, par exemple», détaille le vigneron, dont un pinot blanc se trouve à Dubai.
«Vous croyez qu’on vend des vins italiens dans le pavillon français, vous? Moi, je ne crois pas», lâche Pit Pundel (Pundel Vins Purs, à Wormeldange-Haut), remonté. «Quand je vois que mon crémant se retrouve en concurrence avec un prosecco italien et deux champagnes français, ça me met en colère. Je me fous de toutes les excuses que l’on pourra me donner : ce pavillon a coûté 32 millions d’euros et on n’est même pas capable d’y faire une promotion convenable de nos vins!»
Cette concurrence jamais annoncée fâche? Les prix arrivent en deuxième lame. Les vins luxembourgeois sont tous à 60 dirhams émiriens le verre, soit 14,30 euros. Bien plus cher que n’importe quelle bouteille achetée au domaine. La bouteille, parlons-en, est cédée contre 280 dirhams, soit 66,60 euros. Certes, il faut comptabiliser les coûts induits par le transport et les douanes, mais la marge doit être sympathique.
Pour les vignerons, c’est d’autant plus douloureux que les vins étrangers sont beaucoup moins chers (à l’exception des champagnes Moët et Chandon et Veuve Clicquot à 190 euros le flacon) : 38 dirhams le verre (9 euros) et 175 ou 195 dirhams la bouteille (41,60 ou 46,40 euros). On se demande quel sera le succès de l’excellent pinot gris Puits d’or, du domaine Mme Aly-Duhr, qui se retrouve face à un pinot grigio italien médiocre 40 % moins cher, un produit sans âme vendu sur tous les continents.
Stipulé dans le contrat
Il y a une explication, forcément, mais elle n’est ni audible ni compréhensible du point de vue des Mosellans. C’est le directeur de l’Institut viti-vinicole Roby Ley, très surpris lui aussi par la situation, qui la révèle : «Je ne savais pas du tout que l’on trouvait des vins étrangers sur cette carte, j’ai été aussi étonné que les vignerons, souligne-t-il. J’ai appelé Maggy Nagel (NDLR : la commissaire chargée du pavillon luxembourgeois à l’Exposition universelle) pour en savoir plus et elle m’a expliqué que le Schengen Lounge était géré par une chaîne d’hôtels locale qui avait imposé dans le contrat de vendre les vins de sa propre cave.»
Les vins luxembourgeois du Schengen Lounge
Domaine Thill (Grevenmacher) : Auxerrois 2018.
Clos «Mon Vieux Moulin» (Ahn) : Pinot blanc 2018
Domaine Madame Aly Duhr (Ahn) : Pinot gris 2018 Puits d’or
Caves Berna (Ahn) : Riesling 2018 Ahn Palmberg.
Domaine viticole Krier-Bisenius (Bech-Kleinmacher) : Pinot noir 2017
Pundel Vins Purs (Wormeldange-Haut) : Crémant Cuvée Spéciale Blanc de Noirs
Renseignements pris, la chaîne se trouve être Jumeirah Hôtels, qui gère 24 établissements dans le monde entier, dont le Burj al-Arab, ce fameux sept étoiles en forme de voile, face à la mer. Le site internet nous informe qu’une nuit vous y coûtera entre 1 300 et 10 600 euros. On comprend donc mieux que le groupe (qui possède également onze autres hôtels à Dubai et d’autres aux Maldives, à Abu Dhabi, Oman, Shangai, Londres, Capri…) compte forcément beaucoup sur la recette du Schengen Lounge pour assurer son bilan comptable de fin d’année.
L’affaire passe d’autant plus mal dans le vignoble que les vins qui se sont envolés vers Dubai avaient été rigoureusement sélectionnés le 21 janvier 2020. «Maggy Nagel nous avait demandé d’organiser une dégustation à l’aveugle à l’Institut viti-vinicole, explique le contrôleur des vins, Aender Mehlen. Nous avions demandé aux vignerons qui le souhaitaient de nous envoyer des bouteilles et nous avions gardé celles qui avaient les meilleures notes.»
Sept personnes en lien avec l’évènement avaient dégusté ce jour-là, dont Maggy Nagel, Kim Kevin de Doot (le chef qui pilote les cuisines du pavillon à Dubai), Alain Rix (président de l’Horesca), Michel Lanners (directeur de l’école d’Hôtellerie et de Tourisme du Luxembourg, à Diekirch, dont les élèves participent au service à Dubai), Jean-Paul Risch (maître de chai des domaines de l’État) et Aender Mehlen.
Pas moins de 106 vins échantillons avaient été servis (6 auxerrois, 10 pinots blancs, 6 pinots noirs, 24 pinots gris, 37 rieslings et 33 crémants). À l’époque, aucun membre du groupement d’intérêt économique (GIE) Luxembourg @ expo 2020 Dubai n’avait mentionné qu’ils seraient placés parmi d’autres références dans l’enceinte du pavillon luxembourgeois.
Comme Luxair en février…
«Moi, je ne comprends plus rien du tout… comment on peut faire ça… Je suis en concurrence avec un merlot australien», souffle un Jean-Paul Krier bien peiné (domaine Krier-Bisenius, à Bech-Kleinmacher), dont le pinot noir était sorti gagnant de la dégustation.
«C’est ridicule, assène Frank Duhr (Clos Mon Vieux Moulin, à Ahn), qui livre le pinot blanc avec son cousin Frank. Les gens qui ont décidé ça sont payés avec nos impôts et c’est comme cela qu’ils nous défendent? Si encore on ne produisait pas de blanc, de rouge, de rosé ou de bulles, je comprendrais. Mais, au Luxembourg, on a tout ça : notre gamme est vaste! Pourquoi il n’y a qu’un rosé italien vendu au pavillon? Il n’y en a pas assez au Luxembourg?»
Le président des vignerons indépendants, Ern Schumacher, est tout aussi outré : «C’est ça le Luxembourg? C’est comme ça que l’on fait la promotion de nos produits? Ce n’est pas sérieux! Que l’État fasse des choses pareilles, c’est incroyable. Pour moi, c’est une saloperie. Et vous pouvez l’écrire!»
Cette affaire en rappelle une autre, récente, qui avait ému la Moselle et bien au-delà. En février dernier, sans l’avoir annoncé publiquement, Luxair décidait de supprimer de ses vols le crémant Poll-Fabaire et la Cuvée de l’Écusson de Bernard-Massard. La compagnie nationale les avait remplacés par une Cuvée Luxair, un mousseux bas de gamme produit par Grands Chais de France.
Que ce soit à Dubai ou dans les avions qui décollent du Findel, les vignerons ont la désagréable impression de se faire avoir. Eux font tout le travail nécessaire pour valoriser l’image du pays en élaborant les meilleurs produits, mais lorsque des décideurs décident de saboter leurs efforts en utilisant des prétextes qui vont du flou à la mauvaise foi, la pilule, décidément, ne passe pas.
Erwan Nonet
Pour boire du vin luxembourgeois… autant aller à Luxembourg!
Le week-end prochain, c’est promis, aucun vin étranger ne sera servi sous le chapiteau de la fête des Vins et Crémants, où les 48 domaines luxembourgeois feront découvrir leurs crus! Cette édition se tiendra sous les tentes occupées en ce moment par la Luxembourg Art Week sur le Glacis, le traditionnel chapiteau de Cirque de l’avent faisant défaut à la capitale.
Cette année est spéciale, puisque l’appellation «Crémant de Luxembourg» célèbre ses trente ans. Le moment sera idéal pour découvrir la qualité et la diversité de ces belles bulles. On pourra aussi se restaurer sur place, grâce au traiteur Julien Cliquet.
À noter que la fête des Vins et Crémants sera aussi l’ultime moment pour acheter des billets à tarifs préférentiels pour Wine, Lights, Enjoy, le nouvel évènement concocté par Visit Moselle qui allie randonnée facile (4,5 km accessibles aux personnes à mobilité réduite et aux poussettes), dégustation de vins locaux (17 stands) et mise en scène lumineuse gigantesque (avec lasers, skybeamers, barres de LED, structures éclairées, montgolfière…). Les tickets pourront être achetés sur place, au stand de Visit Moselle.
Fête des Vins et Crémants : vendredi 19 novembre (de 16 h à 21 h), samedi 20 novembre (de 16 h à 21 h), et dimanche 21 novembre (de 15 h à 20 h). 10 euros en prévente (www.luxembourg-ticket.lu), 15 euros sur place.
E. N.