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[EXCLUSIF] Coalition à Esch-sur-Alzette : les « panthères noires » de déi gréng sortent les griffes


C'en est trop pour Jean Huss et André Gilbertz : le premier a décidé de claquer la porte de la section locale, le second de prendre "une année sabbatique". (photo Hubert Gamelon)

Attention, énorme pavé dans la mare ! Deux visages historiques de déi gréng, Jean Huss et André Gilbertz, dénoncent la tournure droitière et les petits calculs de coalition du parti.

Nos interlocuteurs sont des hommes en colère : Jean Huss, dit «Muck», cofondateur de déi gréng en 1982. Et André Gilbertz, compagnon de combat à Esch-sur-Alzette depuis trente ans. Le premier annonce qu’il claque la porte de la section eschoise. Le second qu’il prend «une année sabbatique, tout en gardant un œil sur les commissions dans lesquelles je siège». Mais le cœur n’y est plus.

À Esch-sur-Alzette, déi gréng (trois sièges) négocient un accord de coalition avec le CSV (six sièges) et le DP (deux sièges). Officiellement, un vote interne à la section des Verts a autorisé cette négociation exclusive, à «80% pour».

Dessous des négociations, réunions internes, mise au ban, rupture : les deux «panthères noires» des Verts sortent les griffes et attaquent…

Le contexte

À Esch-sur-Alzette, déi gréng (trois sièges) négocient un accord de coalition avec le CSV (six sièges) et le DP (deux sièges). Esch la Rouge deviendrait donc la Noire, après quasiment un siècle de gouvernance à gauche (socialiste ou communiste). Au niveau national, les verts conservent une bonne dynamique. Mais ils nouent des accords avec la droite, notamment le CSV, pour gagner le pouvoir.

À Luxembourg, les verts sont exclus des négociations avec le DP, malgré tout leur travail et un score honorable.

Déi gréng, aux origines…

« On a créé les verts en 1982 avec Robert Garcia , raconte Jean Huss. C’était dans un esprit antisystème. Notre constat, à l’aube des années 80? L’argent prenait le pas sur tout, c’était le début des années fric, avec une destruction sociale et environnementale sans précédent. Nous avions lancé déi gréng en écrivant une lettre ouverte. Il s’agissait de bousculer l’ordre et de créer un parti capable de s’opposer. » Jean Huss sera le premier député vert de la circonscription Sud, en 1984, le premier conseiller vert à Esch dès 1989 et le premier échevin vert en 2011. Il se retire du conseil en 2013, pour raison de santé, laissant sa place à son fils puis à Martin Kox, actuel leader des verts eschois.

Lundi : «Parlez avec le CSV et fermez le sac»

« On est dimanche soir, les résultats sont tombés , commence Jean Huss. On est heureux à Esch : un siège en plus pour les verts! On se retrouve en position de faiseur de roi. À part une coalition LSAP-CSV, toutes les alliances passent par nous. Le soir même, Martin Kox dit que l’on va discuter avec tout le monde. Deux jours après, il n’est plus question d’aller rencontrer le LSAP, l’alliance est avec le CSV… ou rien. » André Gilbertz confirme : « Le lundi j’envoie un mail au secrétariat de la direction nationale de déi gréng. Je demande : « Comment ça se passe pour les coalitions? » Je voulais savoir avec qui on discutait en premier. La réponse? « Parlez avec le CSV et fermez le sac. » »

L’aile historique est mise au ban

« Nous avons eu trois réunions internes , retrace André Gilbertz. Lors de la première, il s’agit de déterminer qui va sonder le CSV. Les quatre têtes de liste sont désignées, il faut donner deux autres noms. Je propose Jean, naturellement. Il a l’expérience! En face, on lève les yeux en disant : « Oh non, pas Jean… »» Jean Huss sourit : « C’est vrai que j’ai mené pas mal de combats contre le CSV : le droit sur la fin de vie, etc. Mais je trouvais ça normal de parler avec eux en premier, ils avaient le plus gros score. Je n’aurais pas voté une coalition avec le CSV, au final. Mais on aurait fait les choses dans les clous. « Fair-play », vous comprenez? » La suite l’est beaucoup moins…

Mardi : «Ce n’est pas ce qui était prévu»

« Mardi ou mercredi, je ne sais plus, Martin Kox nous annonce qu’on ne sondera pas le LSAP , lâche André Gilbertz. Je réponds : « Ce n’est pas ce qui était prévu.. . »» -« Dans l’histoire, Martin Kox décide tout seul qu’on n’ira pas voir les socialistes , enchaîne Jean Huss. Ils ont six sièges, autant que le CSV, on aurait pu leur demander ce qu’ils pouvaient mettre dans la balance… reprendre plus d’idées écolos par exemple, ou écarter les échevins LSAP qui nous sont hostiles (NDLR : il cite Jean Hinterscheid). On a travaillé 16 ans ensemble! Au lieu de ça, Martin Kox nous dit qu’il a vu Vera Spautz en tête à tête, et que ça suffit comme ça. » André Gilbertz lâche un détail piquant : « En revenant de la réunion avec le CSV, Martin me dit : « L’équipe de Mischo m’a promis d’être gentille. » Pour lui, ne plus subir la rudesse que l’on connaît parfois chez Vera Spautz, c’est un argument… »

Ultime réunion : «Des pressions venues d’en haut»

« Jeudi, Martin Kox veut faire voter la poursuite exclusive des négociations avec le CSV , continue André Gilbertz. Il y a la moitié de la section dans la salle! Je réponds : « Attend, c’est une réunion informelle ça, ce n’est pas une assemblée… » » -« Je n’étais pas invité , déclare Jean Huss. Et d’autres membres de la section non plus. On m’a répondu que c’était une erreur de mails groupés. Que seuls les membres de la liste (NDLR : sur les affiches des communales) avaient reçu le mail. Je dis : « Mais Félix Braz (NLDR : déi gréng et ministre de la Justice) est là? Pourtant, il n’est pas sur la liste des communales… il était juste venu faire pression.» Autre pression évoquée par André Gilbertz : « Marc Spautz (leader du CSV) a appelé directement une jeune militante déi gréng eschoise, j’en suis témoin. Il lui a dit que son parti avait tout à gagner à faire une coalition locale. Un homme politique qui occupe une telle fonction, ça intimide .»

Les deux compères obtiennent que la réunion soit remise au lendemain. « Vendredi soir, je veux convaincre les nouveaux du parti, qui sont plein de bonnes intentions, que c’est une erreur historique de faire alliance avec le CSV , raconte Jean Huss. Au bout de deux minutes, on me reprend la parole en me disant : « Il y a d’autres orateurs », alors que personne n’avait levé le doigt! J’ai pu finir, mais c’était confus. » Sur les 27 membres présents, 19 votent pour les discussions avec le CSV, 4 contre, et 4 s’abstiennent. « Ce n’est pas les 80 % annoncés officiellement , calcule Jean Huss. Et puis, ça se joue à rien. En tout, la section compte 41 membres, pas 27. Certains membres m’ont dit : « Je ne suis pas venu, depuis que j’ai les enfants, je viens moins aux réunions. Je ne me sentais pas légitime » .» D’autres n’auraient pas eu le temps de changer leur agenda du jour au lendemain. « Psychologiquement choqué » par la méthode, Jean Huss rend sa carte de la section locale (pas nationale, car il garde des espoirs, notamment envers un François Bausch). Et avec la voix grave : « 35 ans, vous imaginez? »

«Le CSV était profondément anti-eschois»

On oppose à Jean Huss que l’autre coalition, LSAP-déi greng-déi Lénk, aurait des allures de perdants. « Je vais vous dire qui est le perdant depuis 30 ans, s’agace Jean-Huss. C’est Esch-sur-Alzette. Quand le CSV était au gouvernement, nous n’avons pas cessé de dire : « C’est la fin de la sidérurgie et le début de gros problèmes, aidez-nous! » Et le CSV a toujours était profondément anti-Eschois. Moi je n’ai rien contre Mischo, Zwally et autres. Ce sont des gens sympathiques. Mais mon point d’honneur est de dire cette vérité : les écoles, les routes ou les infrastructures associatives qui nous manquent, c’est parce que le gouvernement du CSV n’a jamais voulu lâcher plus d’argent. » Ironie du sort, c’est avec la coalition «Gambia» qu’un rééquilibrage des finances publiques a été voté cette année. « Dix millions d’euros en plus, rien que pour 2018 , note André Gilbertz. Et c’est le CSV local qui va les ramasser. Vous imaginez, si depuis 30 ans on avait touché 10 millions d’euros par an en plus? Vous en faites des écoles! »

«Si le but c’est de préparer le terrain des législatives…»

« À quoi joue-t-on? , conclut Jean Huss. Si les coalitions avec le CSV visent à préparer le terrain des législatives, on va dans le mur. L’ADN des verts est à l’opposé de celui du CSV. Je ne cherche pas à polémiquer, plus à mon âge, pas avec ma santé… Je fais un constat : quelles idées créatives le CSV a proposé au niveau de la mobilité, de la pollution ou encore de l’agriculture raisonnée durant toutes leurs années au pouvoir? Rien. On ramasse les plâtres aujourd’hui. Les investissements massifs sur le train qui viennent d’être annoncés, ce sont les verts et François Bausch. Le tram, le développement cohérent des pistes cyclables en Ville? Ce sont les verts et Sam Tanson! » -« Et quoi encore là-haut? , s’énerve André Gilbertz. Lydie Polfer (DP, la bourgmestre) ne prend même pas la peine de consulter sérieusement les verts! Mais enfin, qu’est-ce qu’a fait le CSV en Ville pour mériter tant d’égards? »

Pour Jean Huss, ce qui se passe à Esch est lié avec ce qui se passe à plus haut niveau. Il dénonce un CSV qui a eu pour seul mérite de faire tourner la planche à billets dans les années phares. « Les accords fiscaux sont sans moralité, il faut le dire. On s’en servira de moins en moins, et on aura besoin de politiciens de plus en plus créatifs pour anticiper les problèmes du pays. Nous avons besoin de plus d’Europe. Nous avons besoin de plus de partage, de plus de solidarité, de plus de sécurité par rapport à ce qu’on mange dans nos assiettes. Nous n’avons pas besoin de gens qui prospèrent sur le « c’était mieux avant ». »

Hubert Gamelon

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