Le street art envahit Esch. Plutôt que d’imposer les œuvres aux habitants, les artistes du «KuFa’s Urban Art» vont à leur rencontre cette année. Rendez-vous par exemple ce dimanche, avec Chiara Dahlem, rue des Argentins.
Que dire à Chiara à propos des habitants de la rue des Argentins? Au Broadway bar, en face, ils n’ont jamais été aussi heureux que lors de la finale de l’Euro-2016, quand le Portugal battait la France 1-0. On sentait qu’il allait se passer quelque chose : dans l’après-midi, les patrons avaient gonflé un grand totem rouge floqué Super Bock. Un truc d’Indiens eschois, de supporters qui n’avaient peur de rien! Au bar plus loin, les dimanches soir d’été, on entend des familles chanter du karaoké. L’été toujours, ça sent la grillade, les gamins font du vélo, Esch rigole et souffle d’une année de labeur. Il y a ceux qui rentrent «au pays» et il y a ceux qui restent. Quoi qu’il en soit, personne n’a jamais joué à la pétanque ici, comme l’y invite la placette avec la rue des Champs. C’est la mission de l’artiste : «se réapproprier le lieu avec les habitants».
Ce dimanche, sous un ciel probablement gris, Chiara Dahlem participera à son premier «urban talk». L’initiative est pilotée par la Kulturfabrik, dans le cadre de son festival d’art de rue. La rencontre se déroulera entre 9 h et midi.
La Luxembourgeoise a passé douze ans en Allemagne, à écumer les évènements de Sarrebruck à Berlin. «L’art urbain, c’est l’art devant tout le monde, lâche-t-elle. J’ai toujours recherché la réaction des gens. Mais leur parler, s’imprégner de leur vie, comprendre comment ils voient leur quartier… c’est une première.»
Ce sont eux qui vivent ici
Le concept est «d’abord d’écouter les habitants. Ce sont eux qui vivent ici, c’est à eux de me dire ce qu’il manque pour que la place soit plus vivante». Chiara est venue faire du repérage à plusieurs reprises. «J’ai vu comment était la lumière du matin, de l’après-midi… Je suis restée sur un banc à observer les passants. Mon sentiment est que l’endroit n’a pas d’identité. Des gens n’ont même pas compris qu’il s’agissait d’un terrain de pétanque. Les passants s’assoient rarement sur les bancs.»
L’endroit a été aménagé il y a deux ans et déjà il faudrait le changer? «Attention, prévient Chiara. Je ne vais pas abattre un immeuble! Je suis artiste, pas architecte. Nous avons aussi un budget précis à respecter.» Mais pas d’idées arrêtées.
Il pourrait tout aussi bien s’agir de peinture murale que d’une installation ou une œuvre plus conceptuelle encore. «J’ai trois projets en tête, mais je n’en dirais rien, sourit Chiara. Je veux être à l’écoute.»
Intégrer les habitants est une chose. Conserver sa liberté d’artiste une autre. «Un artiste doit-il être tenu par le goût du public?», demande-t-on. La frontière entre art et aménagement urbain est par ailleurs assez mince. On chambre gentiment Chiara : «Il va falloir que vous expliquiez aux gens que vous ne bossez pas chez IKEA!» – «L’artiste compose toujours avec différents paramètres, nous répond-elle du tac au tac. La rue est un paramètre, la toile est un paramètre, ta technique artistique encore un autre… Là, je ne vais pas chercher à faire que des heureux. Je ne vais pas dire « qui veut que je dessine un chien ? ». Il y a toujours une appréciation de l’art. Ce qui change, c’est de considérer le lieu ET les gens.» La démarche est tout à fait louable, quand on voit comment Esch est «maquillé» sans le consentement des habitants.
Les projets qui vont naître dans le cadre du «KuFa’s Urban Art 2020» seront éphémères. Celui de la place des Argentins aussi. Peut-être que le terrain de pétanque ne sera plus un terrain de pétanque. «Qui sait?…», glisse Chiara énigmatique.
Nous recommandons sincèrement d’aller rencontrer l’artiste ce dimanche. Le moment sera sympathique, puisque Chiara Dahlem est sympathique! Il y aura des croissants aussi, un camion pour s’abriter. Et qui sait, le début d’une belle aventure urbaine et artistique à la clef.
Hubert Gamelon
Les autres rencontres
– Ce samedi, 14 h-16 h au 24 rue de l’Alzette, avec Kit Empire (LU-FR) et Irina Moons (LU). Puis 16 h-18 h, 108 rue de l’Alzette avec Carsí Navarro (LU), Miguel Arraiz (ES) & Moshi Moshi (BE), Julie Conrad (LU).
– Ce dimanche, place des Argentins, 9 h-12 h, rue du Canal, avec Chiara Dahlem (LU), puis 14 h-17 h Parc Galgenberg (entrée rue du Stade) avec Lisa Junius (LU).
– Dimanche 16 février : 9 h-12 h à la Schoul Aérodrome avec David Soner (LU) et Carla Marques (LU). Puis 14 h- 17 h, parking à l’angle rue d’Audun et boulevard Kennedy, avec Steve Gerges (LU).