Accueil | Luxembourg | Enfants et écrans : tous les pièges que les parents doivent éviter

Enfants et écrans : tous les pièges que les parents doivent éviter


Vivre sans écran est devenu impossible pour les jeunes. Une dépendance qui peut vite glisser vers l'addiction et le harcèlement, prévient le pédopsychiatre (Photo : AFP).

Le Dr Frédéric Kochman était invité, mercredi soir à Luxembourg, pour une conférence sur les enfants cyberharcelés et cyberdépendants… mais aussi sur leurs parents cyberdépassés !

« Tu es trop grosse. » «T’as vu ta gueule ? Fais un procès à tes parents et suicide-toi.»

Ces attaques minables,  «ce sont des messages que j’ai vus cette semaine», précise le Dr Frédéric Kochman, invité par le Centre psychosocial et d’accompagnement scolaires (Cepas) du Luxembourg. Un rétroprojecteur projette l’ombre d’une adolescente. «Cette jeune fille a été prise en photo en sous-vêtements, à son insu, dans une salle de gym. L’image a été postée sur les réseaux sociaux et, depuis, elle reçoit des messages comme ‘Tu n’es qu’une pute’, ‘Prends une corde’, ‘Suicide-toi et tout sera fini ma belle’.»

Dans la clinique Lautréamont à Lille (France), ce pédopsychiatre reçoit des jeunes en grande souffrance psychique. «Je passe mes journées à soigner des états de stress post-traumatiques. Avec un effondrement de l’estime de soi, des cauchemars répétés, des flashs amnésiques où ils revivent leurs agressions.» Oui, ce grave trouble anxieux, attribué habituellement aux traumatisés de guerre, touche aujourd’hui de jeunes collégiens. «Des jeunes totalement délabrés dans leur psychisme.»

Le Docteur Frédéric Kochman est un spécialiste reconnu (Photo : Alain Rischard).

Le Docteur Frédéric Kochman est un spécialiste reconnu (Photo : Alain Rischard).

Ces jeunes ont un point commun : ils sont cyberharcelés. «Le harcèlement scolaire se poursuit presque systématiquement en cyberharcèlement. Car, aujourd’hui, la maison n’est plus un refuge. Les harceleurs peuvent vous atteindre partout, 24h/24, grâce aux réseaux sociaux.»

Il cite l’exemple de ces jeunes qui ont carrément fait une pétition sur les réseaux pour qu’une fille de 12 ans «trop grosse» se suicide. Ce qu’elle a tenté de faire. «Les jeunes me montrent les SMS qu’ils reçoivent. Les cyberharcelés ont l’impression que ce qui est écrit sur l’écran est la vérité, comme des tags qui s’imprimeraient sur les fondations de leur personnalité. C’est une blessure interne profonde, qui fragilise très vite l’estime d’eux-mêmes et l’image de leur corps.»

Loser à l’école, dieu sur Fortnite

Le XXIe siècle a vu naître toute une génération d’enfants cyberdépendants dont le monde bascule de plus en plus du réel vers le virtuel. «Aujourd’hui, je suis sûr que si je vous demandais de dessiner un adolescent, vous le feriez avec un smartphone à la main. Les écrans sont pratiquement devenus une extension de leur corps».

Et gare à ceux qui tentent de faire décrocher les plus addicts. «J’ai vu en direct des choses terribles. Comme ce père à bout qui dit à sa fille cyberdépendante qu’il va débrancher le wifi. La fille est alors montée sur le bord de la fenêtre, au 4e étage. Elle a regardé son père et dit : ‘Si tu débranches le wifi, je saute’.»

Ou cette histoire vraie d’un garçon dont le visage couvert d’acné a fait le tour des réseaux. «Vous imaginez, à 13 ans, si vous aviez vu la photo de vos boutons partagés par des milliers de personnes ? Ce jeune est en phobie scolaire depuis plusieurs mois.» Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Il existe un monde où ce même jeune est devenu un dieu : le jeu en ligne Fortnite. «Il me dit : ‘Sur Fortnite, je suis un héros, j’ai 30000 vues de mes vidéos sur YouTube… Pourquoi me faire chier à l’école? »»

«La cyberaddiction devient un traitement au stress de la vie réelle. Ils se réfugient dans cet univers comme un alcoolique calmerait son stress avec du whisky.»

Mais si être alcoolique est mal vu, être un petit génie de l’informatique est plus valorisant. «Comme ce parent, fier de sa gamine qui sait déjà faire plein de choses avec son iPad à 2ans et demi. C’est fascinant, hein? Eh bien non, c’est inquiétant! Qu’est-ce qu’elle fout avec un iPad à son âge?», s’indigne-t-il.

Ouvrir sa porte aux pédophiles

Face à ces enfants cyberaddicts, il trouve souvent des parents cyberpaumés. Et il ne leur fait pas de cadeau: «J’engueule les parents qui se dérobent en disant: « Moi, vous savez, internet, les réseaux, je n’y connais rien. »» Sans ménagement: «Un jour, à des parents comme ça, je leur ai dit: « Votre fille, Priscilla, 13ans, elle est dans sa chambre toute seule avec ses écrans. Eh bien, ce n’est pas très différent que de mettre devant sa fenêtre, en néon vert clignotant, « Priscilla, jeune fille de 13ans, ouverte à toutes les possibilités, entrée libre ».»

Car «elle peut tomber sur Kevin, 13ans, qui est en fait Marcel, 70 ans, pédophile multirécidiviste. Pour Marcel, c’est le bonheur absolu, ces réseaux sociaux d’ados. Il peut traquer des centaines d’enfants. Donc, si on n’essaie pas de comprendre ces réseaux et ce qu’y font les enfants le soir, c’est comme si l’on ouvrait la porte à ces salopards.»

Fortnite : « Comme sens de la vie, c’est pas terrible »

Le jeux vidéo Fortnine est l'un des plus populaires chez les ados (Photo : DR).

Le jeux vidéo Fortnine est l’un des plus populaires chez les ados (Photo : DR).

Les jeux vidéo sont aussi dans son collimateur. Mais, chose plutôt rare pour un psychiatre, il sait de quoi il parle. «Mon père était un gameur avant l’heure et l’un des premiers ingénieurs informatiques en France. On a connu les premiers jeux vidéo de l’Histoire. Et mon frère, c’est pire, il est développeur de jeu chez Ubisoft.»

Une fois encore, il cite l’exemple du jeu Fortnite: «Sa philosophie est basée sur les « shooter games »: on tue tout le monde, et c’est le dernier survivant qui gagne. Comme sens de la vie, c’est pas terrible.»

«C’est un jeu qui rend très addict. Et qui peut coûter cher. Je connais un jeune de 11 ans, 1,60 m, 96 kg… Il a volé la carte bancaire de ses parents pour acheter pour 2400 euros de « skins », les tenues payantes des personnages. Les parents ont juste bloqué leur carte. Car à chaque fois qu’ils essaient de le punir, il fait des crises terribles.»

Ou ce jeune, déscolarisé parce qu’il veut devenir pro dans le monde de l’e-sport. «Les jeunes sont des centaines de milliers à vouloir devenir pros, mais une infime poignée arrive à en vivre, dont 90% de Coréens et de Japonais. Alors je lui ai conseillé de penser à un plan B, au cas où. Oui, je lui ai cassé son rêve. Mais c’est notre rôle aussi, face à des jeunes en décalage complet par rapport à la réalité.»

Romain Van Dyck

Éducation : comment créer un cyberaddict ?

Il faut savoir respecter quelques grandes règles avec les écrans et le numérique (photo : AFP).

Il faut savoir respecter quelques grandes règles avec les écrans et le numérique (photo : AFP).

1. Vous lui achetez tout. «Vous ne lui dites jamais non. Il veut 100 skins à 24 euros pour le jeu Fortnite? Bien sûr, mon chéri!» ironise Frédéric Kochman.
2. Vous lui maintenez son statut de bébé le plus longtemps possible. «J’ai vu un jeune de 11 ans qui avait encore sa tétine dans son lit. Il ne la montre pas aux autres, c’est la honte, mais chez lui, ses parents laissent faire.»
3. Vous ne le contrariez jamais, «car c’est lui qui commande. Vous lui permettez tout.»
4. Vous satisfaites toutes ses pulsions. «C’est la voie royale vers la cyberaddiction. On constate des liens très étroits entre des enfants rois qui n’ont plus de cadre ni de limites et le risque de cyberaddiction.»

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.