Un mois après la montée des eaux historique qui a frappé Echternach, le bourgmestre Yves Wengler fait le bilan des dégâts et se projette dans les années à venir.
Ce mercredi, le soleil brille sur la cité abbatiale qui a retrouvé ses touristes du mois d’août. Dans son bureau aux fenêtres grandes ouvertes, le bourgmestre Yves Wengler (CSV) signe encore quelques documents avant de prendre quelques minutes pour faire le point sur la situation de sa ville meurtrie, quatre semaines après la catastrophe.
Comment va Echternach ?
C’est toujours dur… Beaucoup de gens ont tout perdu. Une demi-douzaine de familles relogées par la commune ne pourront pas regagner leur domicile avant des mois.
De nombreux commerçants ne peuvent pas rouvrir leur magasin, car tout a été dégradé. C’est particulièrement le cas dans le bas de la rue de la Gare. Là, quasiment toutes les enseignes sont fermées. Le mazout de chauffage qui s’est échappé des cuves lors de l’inondation s’est infiltré dans les murs et empêche le plâtre de sécher, donc il pourrit. Pas le choix : il faut tout refaire.
Quelles sont les infrastructures qui ont été touchées ?
Toutes nos infrastructures sportives sont hors d’usage, donc on se presse pour trouver des solutions en vue de la rentrée scolaire. La piscine, qui devait fonctionner encore au moins jusqu’à 2023, sera démolie. La remettre en état avec le hall sportif coûterait 2 millions d’euros alors qu’un nouvel ensemble sportif est prévu dans notre masterplan Campus Gare. Les courts de tennis sont à refaire pour 280 000 euros. Enfin, les travaux de la station d’épuration se chiffrent à 2 millions d’euros.
Le patrimoine culturel a-t-il souffert ?
La chapelle Notre-Dame, qui se trouve rue des Romains, a été inondée alors que des travaux de rénovation venaient d’y être effectués. L’abbaye a subi de lourds dégâts : la montée de la Sûre a touché le lycée et 38 salles de classe doivent être restaurées.
Il y a eu de l’eau dans la crypte de la basilique où se trouve le tombeau de Saint-Willibrord, mais heureusement, grâce à des pompes rapidement mises en place, les dégâts sont limités. Le musée de l’abbaye a également été touché, tout comme l’Orangerie.
On se presse pour trouver des solutions en vue de la rentrée scolaire
Du côté scolaire, quel est le bilan ?
Sur le chantier de la nouvelle école fondamentale, le bâtiment érigé a été épargné, car il est au-dessus du niveau HQ100 censé définir le niveau d’une crue qui se produit une fois tous les 100 ans. Il a été conçu pour laisser passer la Sûre en dessous en cas d’inondation, et c’est ce qui s’est produit. Mais la rivière est montée 18 cm plus haut que le niveau HQ100, donc la dalle a tout de même été touchée.
Sur le site de l’ancienne école primaire, du mazout a infiltré les murs là aussi et une odeur de pourri s’en dégage. Le bâtiment le plus récent a été touché, mais reste fonctionnel.
La rentrée scolaire est-elle menacée ?
Dans l’enseignement fondamental non, mais la question se pose pour le secondaire. Nous avons eu une réunion ce matin même avec l’administration des Bâtiments publics et le ministère de l’Éducation nationale : il faut voir dans quels délais les classes détériorées peuvent être remises en état. Or les différents corps de métier sont en congés collectifs ou alors leurs plannings sont déjà pleins et les matériaux manquent à cause de la crise sanitaire.
Sait-on exactement à quel niveau est montée l’eau ?
Non, car nous ne disposons pas de station de mesure à Echternach. Celle dont nous dépendons se trouve à Bollendorf-Pont. À cet endroit, la crue a atteint 6,39 mètres.
À combien se chiffrent les dégâts ?
Entre cinq et six millions d’euros, uniquement pour ce qui relève de la commune. Aucune idée en ce qui concerne les particuliers, les commerces et les bâtiments entretenus par l’État, comme le lycée.
La commune a-t-elle les moyens de faire face aux dépenses massives qui s’annoncent ?
Nous travaillons sur notre plan financier pluriannuel et on est horrifiés par ce qui nous attend. Cette catastrophe a un effet négatif sur nos liquidités et a un impact sur certains projets qui vont devoir être abandonnés ou reportés. On compte beaucoup sur l’État, qui a promis 50 millions d’euros pour l’ensemble des communes touchées, donc on attend de savoir quelle sera notre part. Si elle n’est pas à la hauteur, nous devrons prioriser nos services les plus élémentaires.
Le système d’alerte a été vivement critiqué pour avoir été trop tardif. C’est votre avis ?
Oui, l’alerte a été tardive, mais je suis convaincu que même si on avait disposé de ces informations plus tôt, les gens ne les auraient pas forcément prises au sérieux ou se seraient préparés à une crue plus « habituelle », disons. Là, ça a dépassé tout ce qu’on a connu ! On aurait été surpris de toute façon… Moi-même je n’ai jamais pensé que l’eau atteindrait ce niveau. J’avais l’espoir que nos mesures anticrues suffiraient.
Quelles sont ces mesures ?
Après les inondations de 2003, nous avons installé des murs anticrues le long de la Sûre pour protéger tout le quartier Gare et on dispose aussi de cinq ou six grandes pompes mobiles qu’on met en marche dès que le niveau devient critique : elles permettent de drainer l’eau du canal vers la Sûre, tant que l’eau est moins haute que les murs anticrues bien sûr. Or, cette fois, l’eau est passée 17 cm au-dessus et a envahi toute la ville.
Vous envisagez d’installer davantage de murs de ce type ?
Je ne pense pas que ce soit la solution. Monter des murs anticrues toujours plus hauts ne fait que déplacer le problème. Ces murs sont efficaces pour la plupart des inondations, mais pas pour celles qu’on vient de connaître. On peut tenter de freiner les pics extrêmes, au niveau des ruisseaux qui alimentent la Sûre, pour réduire le débit de l’eau. Et là, c’est un chantier national, voire international, car l’Allemagne est impliquée. Il faut permettre à l’eau de se répandre vers des zones sans habitation.
Ce sont des pistes déjà explorées ?
Oui, il existe différents groupes de travail : l’un national qui réunit les communes concernées, l’autre incluant des communes de Rhénanie-Palatinat qui connaissent les mêmes problématiques. On doit se rencontrer la semaine prochaine. Ces crues ont précipité le calendrier!
Quelles mesures envisagez-vous pour mieux protéger la ville ?
On aimerait avoir notre propre station de mesure pour mieux anticiper les conséquences des crues. On souhaite aussi créer un guide spécifiquement destiné aux habitants pour leur expliquer toutes les notions nécessaires : ce qu’est le niveau HQ100, où trouver des informations, comment lire et interpréter les cartes des risques d’inondation, etc.
Le but étant que chacun puisse juger à quel moment il est crucial pour lui d’évacuer. Cela dépend beaucoup de la rue et du quartier où on réside. Plus globalement, je crains qu’il faille désormais apprendre à vivre avec les inondations, car leur fréquence et leur intensité augmentent : nous avons connu plusieurs crues récemment qui ont dépassé le niveau HQ100 censé se produire une seule fois par siècle…
Qu’avez-vous pensé de la vague de solidarité les jours suivant la catastrophe ?
C’était vraiment formidable ! Cela a remonté le moral des citoyens. Plus de 500 volontaires ont prêté main-forte pour tout déblayer et nettoyer. On a pu évacuer 600 tonnes de déchets en deux jours grâce à cette mobilisation.
Un compte bancaire a été ouvert aux dons : où en est-il ?
Nous avons atteint 210 000 euros jusqu’ici. Pour gérer ces fonds, nous nous sommes rapprochés des communes de Pétange et Käerjeng qui ont piloté avec succès un système similaire dédié aux victimes de la tornade de 2019.
Cet argent viendra combler les besoins restants une fois que les assurances et l’État auront versé leurs dédommagements aux sinistrés, dont on ne connaît toujours pas le nombre exact.
Entretien avec Christelle Brucker